Jeff Mills est un DJ producteur américain né le 18 juin 1963 à Détroit, la capitale de la musique Techno dont il est devenu un des représentants majeurs à la suite de ses contemporains Juan Atkins, Derrick May et Kevin Saunderson. Parallèlement à des études en architecture, il commence sa carrière musicale à 17 ans comme DJ dans des clubs puis dans des radios locales qui lui apportent un début de notoriété sous le pseudo “The wizard”. Il devient producteur en 1988 en montant, avec Anthony Srock, le groupe “Final Cut” dont il s’éloigne rapidement pour fonder avec “Mad Mike” Banks le collectif et label Underground Resistance qui prône une démarche musicale politisée et anti mercantile.
En 1992, Mills quitte Underground Resistance pour se consacrer à des projets personnels et s’installe à New York, Berlin et Chicago où il crée le label Axis. Expert des sets à 3 platines et des boites à rythmes Roland, dont la TR909, il surfe dans les années 90 sur la vague des rave parties dont il devient un des DJ stars. Mais Mills caresse l’ambition de dépasser son simple statut de DJ producteur qui aligne des dizaines de maxis orientés dancefloor, dont les tubes “The Bells” ou “Sonic Destroyer”, d’approfondir son travail de composition et de réfléchir à une dimension visuelle de sa musique. C’est dans ce contexte, que Jeff Mills rencontre Jean-Michel Jarre dont il cherche les conseils :
JMJ : “On s’est rencontré il y a pas mal d’années, à une époque où il voulait sortir de son image de DJ Techno pour se frotter à la composition musicale. Il était venu me voir dans mon studio d’une manière très touchante et cela m’avait beaucoup marqué. Il m’avait demandé des conseils sur la manière de structurer un morceau de musique. Tout cela de façon très simple.” (metamusique.fr 10/2015)
JM : “Le jour de notre rencontre, il m’a invité chez lui et nous avons discuté de musique pendant quatre heures. (…) J’avais envie de lui poser des millions de questions. D’ailleurs, durant ces quatre heures, je l’ai littéralement assailli de questions. Je me souviens que nous déplorions le manque de collaborations entre les jeunes et les moins jeunes.” (Trax 186 11/2015)
Les deux musiciens ont en commun une passion pour l’architecture, la science fiction et le cinéma, en particulier “2001 Odyssée de l’espace“, le roman de Arthur C. Clarke et le film de Stanley Kubrick. D’ailleurs, une première idée de collaboration autour de cette oeuvre est envisagée puis abandonnée suite au décès du romancier en 2008. Pourtant, Mills s’implique dans plusieurs autres projets liés au cinéma comme sa participation à la nouvelle bande son des films “Métropolis” de Fritz Lang (2000), et “Les Trois âges” de Buster Keaton (2005), ou, en 2001, sa sculpture-installation “Mono” dédiée au film de Kubrick au festival Sonar de Barcelone.
Au milieu des années 2000, il met en pratique son goût des arts visuels en s’essayant à des techniques vidéos qui passe notamment par la réalisation des DVD “Exhibitionist” 1 (2004) et 2 (2015), et l’acquisition d’une platine CD et DVD pour ses sets lors desquels il se fait VJ. Il crée des installations sonores dans des musées d’art contemporain comme “Critical Arrangements” au Centre Pompidou en 2008 ou “The visitor”, une TR 909 customisée en ovni, à Tokyo en 2015. Son éclectisme le pousse enfin vers des expériences nouvelles avec des orchestres symphoniques, comme ce concert avec l’Orchestre Philharmonique de Montpellier au Pont du Gard en 2005.
En 2014, Jean-Michel Jarre le contacte pour son projet “Electronica” et réaliser enfin cette collaboration qu’ils évoquaient depuis des années.
JMJ : “C’est un architecte au départ et il fait de la musique comme un architecte. À chaque fois que j’entends une de ses séquences, j’ai l’impression de voir des constructions d’Oscar Niemeyer, l’architecte brésilien, avec un côté Bauhaus berlinois, même s’il a commencé de l’autre côté de l’océan. Il a aussi cette obsession du cinéma. La moindre séquence qu’il fait sonne très soundtrack de film muet.” (Trax 186 11/2015) “Jeff Mills est un artiste très sensible qui réfléchit beaucoup et qui a un trajet en constante évolution. J’avais vraiment envie de travailler avec lui. Il compte énormément pour moi. Et je suis très heureux, lui aussi, du morceau qu’on a fait ensemble.” (metamusique.fr 10/2015)
JM : “Je suis ravi de pouvoir enfin collaborer avec Jean-Michel. [Il] m’a contacté il y a un an pour m’expliquer son projet. Il m’a expliqué le concept du titre sur lequel nous allions travailler : il s’agissait d’un train qui roule au-dessus de l’eau. Je crois que c’était une vision qu’il a eue… Je lui ai envoyé quelques compositions et idées qui découlent de cette vision (…). C’était très inspirant. De toute façon, son univers a toujours été une source d’inspiration.” (Trax 186 11/2015)
Site officiel : http://www.axisrecords.com/
:: Interview sur Electronica volume 2 ::
Comment avez-vous été impliqué dans ce projet?
Jeff Mills: Jean-Michel m’a contacté pour savoir si je serais intéressé à faire un remix de l’un de ses morceaux. J’ai rapidement répondu “Oui” et demandé de quoi parlerai le morceau en gros. Il m’a expliqué que c’était l’histoire d’un train circulant le long d’une rivière. J’ai composé quelques ébauches reflétant les différentes points de vue de ce scénario: la visualisation du train d’en haut, du point de vue d’un poisson, dans la perspective d’être sur le train. En utilisant la mélodie et les séquences de base de sa piste, j’ai recréé la composition.
Pouvez-vous décrire votre première rencontre soit avec Jean-Michel Jarre ou avec sa musique? Comment sa musique a-t-elle influencée votre propre travail?
Jeff Mills: Nous nous sommes rencontré pour la première fois en l’an 2000. Je fus invité à Paris pour faire partager ma bande originale du film de Fritz Lang “Metropolis” au Centre Pompidou. Quand je suis retourné à mon hôtel, je reçu une lettre de lui qui me disait à quel point il avait apprécié le spectacle et m’a invité à son studio en périphérie de Paris. C’était incroyable de voir tous ces instruments et équipements personnalisés. Nous avons parlé pendant environ trois heures de science-fiction, de musique électronique, et d’Arthur C. Clarke.
Saviez-vous qu’Electronica Vol. 2 est un hommage à Luigi Russolo, le compositeur italien et concepteur d’instruments expérimentaux? Qu’attendez-vous apporter à son héritage?
Jeff Mills: Je pense que Russolo avait vu juste! L’idée de donner aux individus le contrôle et la capacité d’imiter un groupe (ou un orchestre) est quelque chose que nous vivons de plus en plus à mesure que le temps passe. Une grande partie du mouvement Futuriste a été provoquée par un éveil des sens – une perception psychologique que la vie autour d’eux n’était pas pleine et entière et que donner plus de pouvoir à la personne rend cette personne libre et leur permet ainsi vivre plus intensément.
La musique électronique a créé une famille – une assez grande, même! C’est un peu une relation paternelle qui relie beaucoup d’entre nous. C’est un choix de faire de ce style de musique tout le long d’une carrière. C’est délimité par nos moyens de communiquer et de traduire la vie autour de nous. Je pense que son album (Electronica Vol. 1 et 2) et la façon dont il couvre plusieurs générations en est une preuve évidente. Il m’a vraiment donné des conseils très précieux sur de nombreux sujets dans le passé. Je le regarde toujours et ce qu’il a accompli comme points de repère.
::Vidéos::
Bande annonce du DVD Exhibitionist 2 où Mills fait la démonstration de la TR909 : voir sur Vimeo
Voir l’interview croisée Jarre / Mills sur dazeddigital.com (06/05/2016)
“Jean-Michel Jarre with Jeff Mills – Track Story” à voir sur YouTube.
Article lu 276 fois