Jean-Michel Jarre et le cinéma

(Ci-dessus) La filmographie de Jean-Michel Jarre

Jean-Michel Jarre, fils de Maurice Jarre, illustre compositeur de musique de films Hollywoodiens aux trois Oscar (“Lawrence d’Arabie”, “Docteur Jivago”, “La route des Indes”), a, de son propre aveu, peu œuvré dans ce domaine, qui est pourtant la voix royale du succès pour de nombreux créateurs de musique instrumentale actuels.


(Ci-dessus) Jean-Michel et Maurice Jarre en 2006


Pourtant, au-delà de ses histoires d’amour avec de célèbres actrices, Charlotte Rampling (qu’il accompagnera régulièrement au festival de Cannes), Isabelle Adjani, Anne Parillaud, Jean-Michel Jarre est un passionné du 7ème art dont il se dit souvent plus inspiré que par d’autres formes d’expression artistiques :

“Mes influences les plus grandes viendraient plutôt du cinéma que de la musique. C’est-à-dire qu’on est de la génération de l’image, du visuel, de l’audio-visuel (…). Aujourd’hui les plus grands auteurs sont peut être Spielberg, Fellini, Kubrick, Visconti. Et ces réalisateurs m’ont vraiment marqué sur le plan émotionnel et m’ont réellement influencé.” (Synthesis 2 05/1982)

Ainsi, parmi ses références favorites, Jarre cite régulièrement Stanley Kubrick

“En 1968, j’étais très marqué par Kubrick et “2001”. Puis je l’ai rencontré à Hambourg, parce qu’au moment de “The Shining”, il n’utilisait que de la musique enregistrée. Et il a pensé un moment à utiliser ma musique pour le film, avant de choisir finalement le côté grinçant, plus effrayant de Penderecki. (Playboy 86 01/2008).

…ainsi que Fellini dont il est d’ailleurs invité à commenter le film “Prova d’orchestra” lors d’une chronique d’Henri Chapier au festival de Cannes en 1979 (voir la vidéo en bas de page)

“J’ai rencontré Fellini sur la fin de sa vie, il m’a dit : “Toute ma vie, j’ai cru que je faisais un film différent. Et je m’aperçois à la fin de ma vie que j’ai toujours fait le même film. Finalement, j’ai toujours essayé d’améliorer les choses”. C’est absolument vrai. Cette exigence permet de préserver l’innocence intacte.” (Le journal du dimanche 17/03/2010)

Musique et cinéma… Cinéma et musique… Voyons comment ces deux mondes s’entremêlent dans la carrière du fameux compositeur.


:: Premiers pas par la petite porte du cinéma ::

Musique et cinéma… C’est en joignant les deux que Jarre fait l’une de ces premières prestations en 1967 lors d’une séquence du film “Les garçons et les filles” d’Etienne Perrier, avec Nicole Garcia. Le musicien y joue de la guitare et y chante deux titres avec son groupe d’alors : les Dustbins. Même si un 45T de la musique du film sortira bien, le groupe n’y figure pas.

A partir des années 60, l’éditeur Francis Dreyfus se spécialise, avec un certain succès, dans les musiques de film. C’est sans aucun doute lui qui, début 1973, “branche” son poulain Jean-Michel Jarre sur le projet de BO du film “Les granges brûlées”, dont la prestigieuse affiche réunit Alain Delon et Simone Signoret. Le film réalisé par Jean Chapot sort en France le 30 mai 1973. La musique, entièrement composée par Jarre, fait l’objet d’un album (qui est donc, après “Deserted Palace“, le second du musicien) ainsi que d’un 45T.

“C’est un polar rural, donc qui très très éloigné de l’ambiance sonore [de ma musique]. Le réalisateur, qui s’appelait Jean Chapot, a eu le courage d’utiliser mon travail pour une musique qui est complètement différente, mais qui, je crois, collait assez bien au film.” (Red Bull Academy Session, 16/05/2012).

A cette occasion, Jarre fils est invité à l’émission “Loisirs Spectacles” sur l’ORTF. L’animatrice France Roche ne peut s’empêcher d’évoquer Maurice Jarre, ce à quoi Jean-Michel rétorque poliment, mais sans arriver à cacher son agacement, qu’il n’a pu avoir une réelle influence.

Lors de sa collaboration avec les chanteurs Christophe et Patrick Juvet, entre 1973 et 1977, Jean-Michel Jarre puise dans ses références cinématographiques pour écrire ses textes : on peut citer “La Dolce Vita”, “Séñorita”, “Le fantôme d’Hollywood”, etc.

“Brando voudrait bien retenir, Un tramway nommé désir. Hollywood, Hollywood ne veut pas mourir. Marylin aurait cinquante ans, James Dean n’est plus un géant. Rien n’est plus rien n’est plus vraiment comme avant” (Señorita, 1974)


:: Les emprunts à Oxygène et Equinoxe ::

Après le succès mondial des albums “Oxygène” (1976) et “Equinoxe” (1978), le musicien est approché par les cinéastes pour composer de nouveau des musiques de film. Il ne proposera pourtant presque jamais de musique originale mais acceptera des emprunts d’œuvres existantes. C’est ainsi que Peter Fleischmann (“Scènes de chasse en Bavière”), l’un des représentants majeurs du Nouveau Cinéma allemand des années 1960-70, et ancien assistant de Jean Chapot cité plus haut, illustre son film “La maladie de Hambourg” (Die Hamburger Krankheit) avec de nombreux extraits de ces deux albums. Le film, co-écrit avec Roland Topor et sorti en 1979, se veut une critique de l’état policier au travers d’un scénario de science-fiction qui raconte la gestion autoritaire et brutale d’une épidémie soudaine et incontrôlable.

Quelques mois plus tard, le cinéaste suédois Ray Pollak suit la même recette musicale pour un film montrant les difficultés du passage à l’adolescence : “Barnens ö” (du nom du camp d’été où le personnage principal est censé passer ses vacances). On y retrouve en effet la plupart des mêmes extraits d’”Oxygène” et d’”Equinoxe” dont la première partie de ce 2ème album sert encore une fois de générique de début ! A noter que le 45T “Equinoxe” (part 5) qui sortira en Suède porte un sticker du film qui l’emprunte pour son générique de fin.

En 1981, c’est au tour du fameux Peter Weir (“L’année de tous les dangers”, “The Truman Show”) d’utiliser des extraits des parties 1 et 2 d’”Oxygène” pour son film “Gallipoli”. C’est un lieu stratégique du détroit des Dardanelles pour le contrôle duquel les soldats Autraliens se sont opposé férocement à l’armée turque pendant la Première Guerre Mondiale. Ce film marque les débuts de Mel Gibson, peu après “Mad Max”. Une édition spéciale du 45T “Oxygène 2” est publiée en Australie à l’occasion de la sortie du film. A noter aussi que Jarre père signera plus tard les musiques de plusieurs films importants de Peter Weir dont “Witness” et surtout “Le cercle des poètes disparus”.

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(Ci-dessus) Les 45T de musiques de films de Jean-Michel Jarre


Après ces quelques projets qui ne rencontreront pas le public, Jarre tient un discours auquel il restera fidèle des années :

Sergio Leone et Fellini ont toujours travaillé en étroite collaboration respectivement avec Ennio Morricone et Nino Rota (…). Depuis dix ans, à mon sens, il n’y a pratiquement plus de thèmes qui méritent de passer à la postérité. Pour certains, ce genre de composition constitue même une simple illustration sonore. Pourtant si un metteur en scène consacre cinq années de sa vie à un long métrage, il devrait en être de même pour l’auteur de la bande originale !” (Le Parisien libéré 07/1983)

“[La musique de film,] c’est un domaine où, dans la famille, on a déjà donné, d’une. De deux, c’est très frustrant. J’en ai fait quelques-unes mais qui n’ont pas eu de succès : le premier film de Peter [Weir], (…) “La maladie de Hambourg” avec Peter Fleischmann. Seulement, dans ce genre de boulot, tu peux travailler un an dessus et retrouver ta musique mixée avec des bruits de bagnoles et de rues. J’aime pas. On me propose plein de trucs, oui, mais je les refuse.” (Rock and folk 04/1985).

En effet, il va refuser de travailler sur plusieurs films, dont certains sont devenus culte aujourd’hui :

“J’ai refusé “Midnight Express” et “American Gigolo”. (…) Alan Parker m’avait contacté pour “Midnight Express”. Et Paul Schrader est venu me voir avec “American Gigolo”. On était dans le midi avec ma femme, Charlotte Rampling. On le voit débarquer avec les bandes, il était totalement jeté, abruti par la fatigue. Il venait de finir un montage pénible. Il nous projette donc le truc. Et il s’est endormi devant son propre film ! Moi je ne comprenais pas, le film était tout noir. Il y avait un problème au niveau de la copie. Ensuite, il est revenu à la charge pour que je fasse la BO de “Cat people” mais, là aussi, j’ai dû décliner.” (Technikart 138 12/2009).

Il est amusant de noter que les BO de ces trois mêmes films seront finalement commandées à Giorgio Moroder, qui obtiendra d’ailleurs l’Oscar pour “Midnight Express”. Jarre aurait-il fait mieux ? Différemment, sans doute…


(Ci-dessus) Les BO de Moroder que Jarre a refusées


En 1986, deux titres de Jarre seront pourtant utilisés dans la BO de deux films hollywoodiens. Ce sera d’abord le fameux “9 semaines ½” d’Adrian Lyne (“Flashdance”) avec Mickey Rourke et Kim Basinger. “Arpégiateur” y rythme une des scènes les plus torrides du film sur un escalier d’eau ruisselante… Dans “Dangereuse sous tous rapports” (“Something wild”) de Johnathan Demme (“Le silence des agneaux”) c’est “Ethnicolor” qui illustre l’une des scènes clé de la fin du film. Pourtant, les disques de la BO officielle de ces films n’inclueront pas les titres de JMJ.

Le 16.02.1990, le film Bollywoodien “Agneepath”, remake indien de “Scarface”, réalisé par Mukul S. Anand, emprunte à Jean-Michel Jarre “Ethnicolor”, “Second Rendez-vous” et “Troisième Rendez-vous” dans la bande son.

En 1991, Jarre poursuit son partenariat avec Jacques-Yves Cousteau, un an après l’album (“En attendant Cousteau”) et le concert (“Paris La Défense”) qu’il lui a dédiés, en acceptant de réaliser la musique d’un de ses documentaires : “Palawan, le dernier refuge“, tourné aux Philippines, dans le cadre de sa série “Cousteau à la redécouverte du monde”. Encore une fois, Jarre puise essentiellement dans ses tiroirs, avec des extraits d’”Equinoxe”, “Zoolook”, “Révolutions”, entre autres, mais crée aussi, pour le générique, une composition originale, encore aujourd’hui inédite, mais dont un extrait de 1’30 était rendu disponible par le compositeur sur le site www.jarre.net en 2001.


:: Projets de film ::

Suite à l’aventure des concerts en Chine en 1981, Jarre confie la réalisation d’un film-documentaire à l’Irlandais Andrew Piddington. Deux projets sont alors en lice : en faire un video-disque et/ou le diffuser dans les salles.

“Ce qui m’intéresse ce n’est pas d’en faire qu’un album, mais d’en faire une expérience multi-média, c’est-à-dire essayer différents moyens de toucher le public. C’est pour cela qu’on va faire une version dolby-stéréo pour les salles, et je souhaite qu’elle puisse être correctement distribuée.” (Synthésis 2 05/1982)

Même si aucune des deux idées n’aboutira, Jarre persévère dans sa tentative d’incursion dans le monde du 7ème art en acquérant, avec Charlotte Rampling, les droits d’un roman policier américain en 1983. Leur projet : monter un film.

“II ne s’agit pas pour moi de devenir producteur, précise-t-il, mais de réunir ceux qui désireront travailler avec nous. Charlotte se réserve bien entendu le rôle principal et nous n’avons pas encore choisi ni le réalisateur ni le dialoguiste. Enfin, si les thèmes mélodiques auront une grande importance, il ne s’agira pas d’une comédie musicale !” (Le Parisien libéré 07/1983)


:: Un regain d’intérêt tardif pour la BO ::

Comment Jarre, et son physique de jeune premier, n’a-t-il pas joué dans des films ? La vérité vient sans doute de Charlotte Rampling qui répond par la négative à la question concernant le talent d’acteur de son mari d’alors (Rock and folk, 01/1981) ! Reste que 25 ans après “Des garçons et des filles”, Jarre reprend son propre rôle de musicien devant la caméra du belge Benoit Peeters pour les besoins du film “Le dernier plan” (2001) qui raconte l’enquête d’un jeune réalisateur roumain à propos d’un célèbre écrivain dissident réfugié en France qui entama la réalisation d’un film avant de disparaître sans laisser de traces.


(Ci-dessus) JMJ dans “Des garçons et des filles” et dans “Le dernier plan”


Qui veut devenir une star” est le premier film du français Patrice Pooyard, réalisé en 2002 : un programme de télé réalité montre 8 candidats suicidaires, au sens propre du terme, qui cohabitent dans un lieu clos, épiés 24h/24 par des caméras présentes (vraiment !) partout ; le public vote l’élimination des candidats qui se traduit par la mort des malheureux jusqu’au dernier auquel il est promis des lots fabuleux. Pour ce film, Jarre accepte de composer une musique inédite. L’une des bandes annonce, muette, est illustrée par “Equinoxe part 1”. Le film ne sortira jamais en France au cinéma, mais en vidéo à la demande.

Puis, en 2006, Volker Schlöndorff fait appel à Jean-Michel Jarre pour la musique du film “L’héroïne de Gdansk” (Strajk) dont le personnage principal est inspiré d’Anna Walentynowicz, cofondatrice du syndicat polonais Solidarność. Le compositeur lui cède plusieurs extraits de son concert tenu à Gdansk l’année précédente, dont “Révolution industrielle”, qui se prête particulièrement à l’ambiance des chantiers navals où se déroule le film. Notons que Maurice Jarre avait composé la musique de d’un autre célèbre film du même réalisateur, “Le Tambour”, en 1979 (Palme d’or à Cannes la même année). C’est d’ailleurs Schlöndorff qui lui remettra son Ours d’Or d’honneur lors du 59e festival du film de Berlin en février 2009.


:: Le mot de la fin ::

“Jusqu’à maintenant [les musiques de films] j’en ai fait peu et j’ai raté d’ailleurs beaucoup d’opportunités finalement, parce que mon père étant un grand compositeur de musiques de film, j’ai toujours, je pense inconsciemment, considéré que c’était le territoire du père et que finalement c’était son domaine réservé. Et j’ai raté de ce fait pas mal de musiques de films. (…) J’étais un peu mal à l’aise, c’est plus du tout le cas maintenant, mais avant tout (…) c’est un problème de rencontre (…) mais je serai absolument ravi de le faire, oui.” (chat L’internaute 01/2010).


:: Filmographie ::

  • 1967 : Des garçons et des filles – Etienne Perrier (Musique & apparition)
  • 1973 : Les granges brûlées – Jean Chapot (Musique)
  • 1979 : La maladie de Hambourg (Die Hamburger Krankheit) – Peter Fleischmann (Musique)
  • 1980 : Barnens ö – Kay Pollak (Musique)
  • 1981 : Gallipoli – Peter Weir (Musique)
  • 1986 : 9 semaines et ½ (Nine ½ weeks) – Adrian Lyne (Musique)
  • 1986 : Dangereuse sous tous rapports (Something wild) – Johnathan Demme (Musique)
  • 1990 : Agneepath – Mukul S. Anand (Musique)
  • 2001 : Le dernier plan – Benoit Peeters (Apparition)
  • 2002 : Qui veut devenir une star ? – Patrice Pooyard (Musique)
  • 2006 : L’héroïne de Gdansk (Strajk) – Volker Schlöndorff (Musique)

:: Vidéos ::

  • JMJ & Les Dustbins dans “Des garçons et des filles” : Voir sur YouTube
  • “La chanson des Granges Brulées” : Voir sur YouTube
  • Jarre commente “Prova d’Orchestra” de Fellini à Cannes (1979) : Voir sur Ina.fr
  • Oxygène part 5 (0’16-1’11), Oxygène part 1 & 2 (3’45-5’21) dans “La maladie de Hambourg” : Voir sur YouTube
  • Equinoxe part 1 dans “Barnens O” (générique début) : Voir sur YouTube
  • Oxygène part 2 (6’50 à 8’15) dans “Gallipoli”
  • Arpégiateur dans “9 weeks ½”:
  • Ethnicolor (2’30 à 3’15) & Second Rendez-vous (3’16 à 6’25) dans “Agneepath”
  • Ethnicolor dans “Something wild”Voir sur YouTube
  • JMJ dans “Le dernier plan”Voir sur YouTube
  • La musique de JMJ dans “L’héroïne de Gdansk”Voir sur YouTube
  • Musique inédite dans “Qui veut devenir une star ?” : Voir sur YouTube

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