Ingénieur, chercheur, théoricien, compositeur et écrivain, Pierre Schaeffer, qui a été “son professeur et son mentor”, est la référence musicale que Jean-Michel Jarre admire et cite le plus. Il est né à Nancy en 1910, d’un père violoniste et d’une mère chanteuse. Diplômé de l’Ecole Polytechnique (1929) et de Supélec (1931), il est d’abord ingénieur en télécommunications à Strasbourg avant d’entrer à Radio-Paris en 1936.
Dès 1944, il crée au sein de Radio-Paris (qui devient Radiodiffusion-télévision française – RTF – en 1949) le Studio d’Essai, instance de création et de recherche radiophoniques où il réalise ses propres expérimentations sur le son. En 1948, il invente par hasard la boucle (ou “loop”) sur vinyles par la technique du sillon fermé. Il y fonde aussi les bases de la musique concrète (le terme apparaît en 1948), une nouvelle manière de composer à partir de la matière sonore enregistrée.
Pierre Schaeffer et le phonogène
Schaeffer : “Ce parti pris de composition avec des éléments prélevés sur le donné sonore expérimental, je le nomme, par construction, Musique Concrète, pour bien marquer la dépendance où nous nous trouvons, non plus à l’égard d’abstractions sonores préconçues, mais bien des fragments sonores existant concrètement, et considérés comme des objets sonores définis et entiers”. (Premier journal de la musique concrète 1948-1949)
Il publie ses premières compositions de musique concrète intitulées “Cinq études de bruits” sur disques souples en 1948 (réédités sur vinyl par Disques Dreyfus en 2010). L’année suivante, il compose avec son collaborateur Pierre Henry, une pièce plus longue, “Symphonie pour un homme seul” qui sera chorégraphiée par Maurice Béjart quelques années plus tard. Une vingtaine d’autres œuvres suivront jusqu’en 1979.
En 1951, Schaeffer fonde le Groupe de recherche de musique concrète (GRMC) qui devient le Groupe de Recherches Musicales (GRM) en 1958. C’est un laboratoire de musique électro acoustique et une pépinière d’artistes contemporains. Plusieurs machines aux noms poétiques y sont conçues comme les phonogènes (magnétophones à variateur de vitesse), ou le morphophone (système d’écho réalisé avec une bande lue par douze têtes de lecture). Le GRM est bientôt chapeauté par le Service de Recherche de la RTF créé un an plus tard pour élargir le spectre des expérimentations, notamment sur l’image, et dont la réalisation la plus fameuse est la série des Shadocks (1968).
Au GRM avec François Bayle et Bernard Parmegiani
Schaeffer quitte le GRM en 1966, peu après la sortie de son essai “Traité des objets musicaux” dans lequel il répertorie les sons de sa création selon leur morphologie. Il dirige encore le Service de Recherche de la RTF (renommée Office de Radiodiffusion-Télévision Française – ORTF- en 1964) puis son successeur l’INA (Institut National de l’Audiovisuel, crée en 1974) jusqu’en 1975. Dès lors, il se consacre essentiellement à l’écriture.
Sur les conseils du père du batteur de son groupe rock de l’époque, Jean-Michel Jarre visite puis intègre le GRM fin 1968 – début 1969 pour un stage de 2 ans. Le travail de composition à partir de la matière sonore, en particulier l’assemblage de fragments de bandes magnétiques, passionne le jeune homme qui trouve là sa vocation de compositeur. Ses premières œuvres électro-acoustiques enregistrées (“Happiness is a sad song”, “La Cage“…) naissent dans ce contexte. Sa camarade Hélène (future Mme Francis Dreyfus) raconte :
“Jean-Michel a pris des années d’avance sur les autres au GRM. (…) La première fois qu'[il] a présenté une œuvre, c’était superbe. Schaeffer a dit “Mais vous composez comme votre père !” (Claviers magazine n°6, 01/1990)
JMJ : “Pierre Schaeffer, l’inventeur de la musique concrète, est une des personnes les plus importantes du monde de la musique au XXe siècle. Si la musique techno, la musique électronique et la musique dans tous ses états d’ailleurs existent telles qu’elles existent aujourd’hui, c’est grâce à lui. Il a été le premier à dire que la musique n’est pas une affaire de notes, mais une affaire de sons, et que l’on peut enregistrer le bruit de la pluie ou le bruit d’un train, et en faire de la musique avec la différence que ce qu’il y a entre un bruit et un son musical, c’est la main du musicien. Ca a absolument changé toute ma vision de la musique. Le fait de pouvoir pétrir des fréquences comme on peut pétrir de la peinture ou même faire de la cuisine, cette approche culinaire de la musique est quelque chose qui m’avait échappé. A partir de là, je suis parti sur ce chemin sans hésiter, et d’une manière définitive.” (Les premiers pas, France 5, 16.08.2007)
Schaeffer, qui remarque son talent de compositeur en même temps que sa démarche plus pop qu’intellectuelle, le poussera bientôt à quitter les laboratoires pour aller “au devant du public”. Jarre suivra ce conseil avisé pour mener la carrière qu’on lui connaît. En 1997, le compositeur dédiera l’album “Oxygène 7-13” à son mentor décédé deux ans plus tôt.
Site officiel du GRM : http://www.inagrm.com/
::Vidéo::
Pierre Schaeffer reproduit son expérience de découverte de la musique concrète avec le sillon fermé (1971) : voir sur le site de l’INA
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