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L’original d’Oxygène (1976) a été commenté piste par piste par Jean-Michel en anglais lors de l’émission radio norvégienne NRK P3 Lydverket. Vraiment très instructif ! Voici la transcription écrite du commentaire de Jean-Michel Jarre sur les six parties d’Oxygène, qu’il a voulu un peu à la manière d’un “director’s cut”. Il y est notamment question des instruments utilisés, de l’ordre dans lequel il a composé l’album, et de ses contemporains.
:: Oxygène 1 ::
Oxygène 1 a été fait après Oxygène 2. J’étais intéressé à l’époque en tant que méthode de composition, de ne pas commencer par le début, mais plutôt par le milieu de l’album. C’est un conseil que je donnerai à de jeunes compositeurs, parce que cela vous oblige à être très imaginatif, de commencer avec quelque chose qui corresponde à ce que vous vouliez faire. Un peu comme dans la Guerre des étoiles de George Lucas, où il a fait les trois épisodes après le milieu de l’histoire.
Cela commence dans l’habillage le plus classique, au sens de la musique classique. C’est fait de cordes et de cet instrument très important pour moi appelé l’Eminent 310 U, et qui fait les plus beaux sons de cordes que l’on puisse imaginer, avec ce son si chaleureux. Oxygène 1 se déploie comme une sorte de symphonie ou de concerto, ou vous n’avez pas de percussion. D’ailleurs, quand nous avons commencé à jouer le morceau sur scène, nous devions utiliser une partition de type orchestral, pour pouvoir coller les uns aux autres. Il n’y avait rien pour permettre de conserver le tempo: ni batterie, ni clic. Il doit être joué ainsi pour préserver son côté poétique.
:: Oxygène 2 ::
Il a été la première partie que j’ai composée pour Oxygène. J’étais assez obsédé à ce moment-là de jouer en réaction aux groupes allemands de Kraftwerk et Tangerine Dream. Ces personnes avaient une approche froide, déshumanisée et robotique du monde de l’électronique. J’étais totalement à l’inverse de cela. Je voulais prouver cela avec Oxygène. Oxygène 2 possède une répétition de la ligne de basse et quelques séquences, mais tout est fait à la main. Il n’y a pas de patterns, pas de répétitions. En écoutant attentivement, vous vous rendrez compte qu’aucun son n’est automatiquement le même. Ils sont tous uniques. Il y a donc une vraie évolution, une progression analogique, comme dans la vie. Je voulais quelque chose qui puisse capturer les différents états d’âme que vous pouviez ressentir jour après jour. Chaque jour à Oslo est plus ou moins le même, mais il est aussi plus ou moins différent. C’est exactement ce que j’avais en tête pour Oxygène 2.
:: Oxygène 3 ::
Oxygène 3 est la partie au caractère le plus dramatique de tout Oxygène. J’étais très influencé à cette époque par le film 2001, Odyssée de l’espace. Cette journée périlleuse à travers l’univers, et avoir ces clusters, ces grappes de sons dissonantes que j’ai obtenu sur mon Eminent en posant mon bras par-dessus. Il y avait ces glissandos étranges et tout ça, et j’ai rajouté ces parties vocales, comme dans la première partie, un peu comme une voix de soprano. Le premier synthétiseur de ma vie s’appelle l’AKS, le premier synthétiseur conçu par des ingénieurs anglais.
J’obtiens cette sorte d’ambiance quasi-opéra. En ce moment sur scène, je joue cette partie avec un Theremin. Le Theremin est cet instrument russe bizarre, qui fonctionne avec des ondes radio. C’est plus difficile à jouer, mais c’est très intéressant pour la version live.
:: Oxygène 4 ::
Ensuite, nous arrivons à ce qui est devenu le titre-phare de l’album. Je l’ai vraiment composé en une seule nuit, d’une manière assez inconsciente. Ce n’était pas pour moi censé être un single, un hit, ou quelque chose de ce genre. Je voulais simplement avoir ce rythme comme si vous aviez passé un moment dans votre voiture. Aux sentiments éthérés des trois premières parties, je souhaitais quelque chose qui soit loin devant sur l’horizon, comme lorsque vous êtes sur une autoroute, à l’intérieur de votre voiture (Lire aussi: Oxygène 4, l’histoire d’un tube).
:: Oxygène 5 ::
La partie 5 est intéressante dans sa construction, parce qu’elle possède deux sous-parties, une très lente et l’autre presque joué comme un solo, la partie la plus minimaliste de l’album. Dans la première partie, il n’y a qu’un seul Eminent encore une fois, mais il a été passé à travers un effet « flanger* ». C’est très particulier, qui donne des harmoniques semblables à des bulles de savon. Il y a une évolution jusqu’à la partie avec arpégiateur, qui était le seul arpégiateur à cette époque : le RMI. Il s’agit d’un instrument stéréo qui m’a permis pour la seule fois de l’album de caler deux séquences au même moment. Toutes les autres séquences ont été faites à la main. Comme j’ai eu cette opportunité, je l’ai utilisée, celle d’avoir l’arpégiateur avec deux sorties : l’une avec la séquence de basse, l’autre avec la séquence des percussions noises.
:: Oxygène 6 ::
Oxygène 6 est sans doute la préfiguration de tout ce que la musique lounge telle qu’elle est advenue plus tard. C’est une musique « ambiant », dans une façon très figurative avec ses bruits de vagues et d’oiseaux. Tout ceci a rapport à votre mémoire, à vos souvenirs, quand vous voyez des photographies de vos vacances, et qu’elle charrie toute sorte de sons, de musiques, de mots. Ce morceau, c’est un peu comme si l’océan entier rapportait la musique au rivage. Ce que j’aime dans cette partie, c’est que ce ne sont pas des vagues que j’ai enregistrées, mais que j’ai recréées.
Cela me rappelle ce que Federico Fellini, le cinéaste italien, disait un jour : “Si je dois filmer la plage ou la mer, je veux recréer la mer en studio avec des ventilateurs, de la peinture et des gens qui secouent des draps. Cela sera l’idée que je me fais de la mer, la manière dont je la vois en rêve, pas simplement la mer elle-même”. J’aime beaucoup cette comparaison, parce que pour Oxygène 6, c’est exactement ce à quoi je pensais.
::Audio::
L’interview pour Lydverket de la Norwegian Broadcasting Corp. (NRK) (en anglais) : écouter sur SoundCloud
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