En 1975, deux ingénieurs australiens et amis de lycée, Peter Vogel et Kim Kyrie, se lancent dans la fabrication de synthétiseurs numériques suite à la découverte par Kim Kyrie du fameux disque “Switched-on Bach” de Wendy (anciennement Walter) Carlos, le premier disque entièrement interprété sur synthétiseur Moog. Peter Vogel étant un passionné d’informatique – il a, selon ses dires, construit son premier ordinateur à l’âge de 12 ans – et entrevoyant l’importance que pourrait avoir les ordinateurs dans la musique électronique, ils orientent leurs travaux vers les ordinateurs musicaux. Le fruit de leur premiers travaux sont deux synthétiseurs numériques, les Qasar et Qasar M8, qui restent à l’état de prototype, mais sont des ébauches de leur premier produit commercial. Ils fondent leur société à cette époque, Fairlight (du nom d’une plage locale…)
En 1979, ils présentent au NAMM (le salon de la musique étatsunien) leur premier “bébé” : le Computer Musical Instrument, ou CMI, qui fait l’effet d ‘une bombe : pour la première fois, il est possible de “capturer” un son réel, au moyen d’un microphone, de transformer le son par tout un tas de moyens, et de jouer avec sur un clavier.
A une époque où les instruments électroniques sont encore de grosses machines ventrues couvertes de boutons et bordées de ronce de noyer, le CMI dénote : son clavier, blanc, est vierge de tout contrôlleur, hormis les deux molettes traditionnelles sur la gauche du clavier. Dessus, il est possible de poser le gros écran (genre téléviseur de l’époque) auquel est accroché un cryaon optique, ainsi qu’un clavier alphanumérique typique des ordinateurs. Le tout est relié à une grosse unité centrale, le coeur de la bête, avec ses deux processeurs 8 bits “6800” de chez Motorola et ses deux lecteurs de disquette 8″ (d’énormes disquettes souples).
La force du CMI est bien sur son logiciel : une fois le son échantillonné (quelques secondes), il était possible de visualiser sa forme d’onde sur l’écran, quasi-instantanément, et de la “triturer” dans tous les sens (couper, boucler, lire à l’envers, ralentir, accélérer…). Il était même possible de la visualiser en trois dimensions pour faire de la synthèse additive. Le logiciel intégrait aussi un séquenceur (la fameuse “Page R”) multipiste pour créer des morceaux complets.
La banque de sons livrée avec la machine était fabuleuse. Certains de ses sons sont devenus légendaires (notamment le célèbre “Orchestra hit” qu’on peut entendre sur “Owner of a lonely heart” de Yes en 1982).
Evidemment, c’était une machine horriblement chère (environ 50 000 dollars de l’époque) et peu de musiciens purent se l’offir. Le premier à craquer pour la bête fut Peter Gabriel. Il fut tellement emballé par le CMI qu’il investit ses propres fonds dans l’importateur européan de Fairlight. Il passa un temps phénoménal, avec son monsieur synthé de l’époque, Larry Fast, à échantillonner tout ce qui lui tombait sous la main, ou à dessiner des formes sur l’écran juste pour “voir” ce que ça allait donner… Il utilisa massivement le CMI sur ses troisième et quatrième albums (respctivement appelés “PGIII” et “PGIV”), ainsi que sur “So”.
Parmis les autres acquéreurs du CMI de l’époque, citons aussi ABC, the Buggles (“Videao Killed the Radio Stars”), Supertramp, Thomas Dolby, Yes, Trevor Horn (au sein du groupe Art of Noise, qui n’aurait pas existé sans le Fairlight), Stevie Wonder, Jan Hammer (“Miami Vice”), Herbie Hancock, Mike Oldfield, Duran Duran, John Paul Jones, Kate Bush, Queen, Keith Emerson, Alan Parson, Fleetwood Mac, B-52’s, Pet Shop Boys, Stewart Copeland, Bernard Lavilliers, Daniel Balavoine et… Indochine.
Par la suite, Fairlight ne cessera d’apporter des améliorations à son CMI. La version 2 sort en 1982 (processeurs plus récents, plus de mémoire, disque dur), et la version 2x l’année suivante (intégration du MIDI). La dernière version, le Série 3, sort en 1986 : on a alors une qualité sonore supérieure à celle du CD, la mémoire est de 28 Mo, le stockage des données peut se faire sur des cartouches de bandes magnétiques (grosse capacité pour l’époque), il y a huit processeurs dernier cris, l’écran tactile a été remplacé par une palette incluse dans le clavier alphanumérique, le logiciel propose une séquenceur 80 pistes (le Composer, Arranger, Perfomer Sequencer, CAPS pour les intimes) et un langage de composition hyper-complexe (le Music Composition Langage, ou MCL).
En tout, Fairlight vendra 300 machines en un peu moins de 10 ans. Le Série 3 se vendait aux alentours de 750 000 Francs d’époque (environ 115 000 Euros).
A la fin des années 80, Fairlight se retrouve dans une mauvaise passe. Dans le haut de gamme, le CMI Série 3 est concurrencé par le Synclavier de New England Digital. Et dans le “grand public”, Akaï et E-Mu Systems gagnent largement du terrain avec leurs machines (S900 / S1000 pour le premier, Emulator et E-Max pour le second) toujours plus performantes. Après avoir tenté de se reconvertir dans l’audionumérique professionnel (série MFX), Fairlight ferme ses portes en 1989. Mais comme le Phénix, elle renaîtra de ses cendres quelques mois plus tard…
Jean-Michel Jarre fut, dit on, le deuxième dans le monde à acheter un Fairlight. Dans une interview à “Keyboards” (France) en 1987, il racontait que pour lui, le CMI était la conrétisation d’un rêve : il pouvait recommencer les expérimentations de musique concrète qu’il avait commecées au GRM, sauf qu’avec le CMI, il obtenait en deux minutes ce qui prenait alors une journée avec des ciseaux, des bandes magnétiques et de la colle ! On peut entendre les premiers résultats de ses expériences sur “Les Chants Magnétiques”, surtout dans le milieu de la “partie 1”, où les premières voix traffiquées se font entendre. le Fairlight est aussi la “vedette” du clip des “Champs Magnétiques 2”, durant lequel Jarre cherche un composant ; on aperçoit d’ailleurs le CMI à la fin du clip, le ventre ouvert, posé sur le sol dans un igloo…
Ceux qui ont eu la chance d’entendre “Musique pour Supermarché” en 1983 sur RTL purent se rendre compte que Jarre suivait une nouvelle voie, ce qui fut bien sur confirmé par “Zoolook”, qui n’aurait jamais existé sans le Fairlight. Pour “Rendez Vous”, comme le déclara Jarre, il avait voulu remettre le CMI à sa place : pour lui, un échantillonneur devait être un instrument comme un autre, et pas plus qu’un autre. Dans la même interview de 87, il s’interrogeait sur la pertinence de prendre un Série 3, qui coutait cher et ne servait, au fond qu’à écchantillonner. Visiblement, il ne se posa la question que peu de temps, car il en utilisa un pour “Révolutions”. Après une ultime apparition sur “Chronologie”, les Fairlight partent pour la cave…
Article rédigé par Knarf the Dwarf.
Article lu 2950 fois