Bernard Szajner, salut l’harpiste!

Musicien, inventeur et scénographe français d’origine polonaise, Bernard Szajner (prononcez “Zay-ner”) est souvent surnommé le “Brian Eno français” du fait de son éclectisme artistique et de son approche globale de l’art, alliant visuel et musique, et en ayant recours à la technologie de son temps, mise au service de son inspiration. Il a été le premier en France à réaliser des spectacles de lasers ; au début des années 80, ses compositions de musiques électroniques ont reçu les éloges des magazines de rock anglais. Mais si nous évoquons cet artiste ici, c’est aussi parce qu’il est connu pour être l’inventeur, entre autres instruments, de la fameuse harpe laser, aujourd’hui indissociable des concerts de Jean-Michel Jarre, qui n’est donc pas son concepteur, comme beaucoup le croit, même si c’est sans aucun doute lui qui l’a popularisée.


:: La vocation du spectacle et de la technologie ::


Bernard Scheiner est né à Grenoble le 27 Juin 1944 de parents juifs polonais. Ceux-ci cachent l’enfant des nazis dans une cave et sous un nom d’emprunt. Après la guerre, l’administration française change son vrai nom de famille Scheiner en Szajner. Il peint dès l’âge de 11 ans ; des masques, en particulier. A 17 ans, il visite le Conservatoire national des arts et métiers où il voit des automates pour la première fois. Adolescent, il est fasciné par les grands spectacles de Léonard de Vinci alliant effets mécaniques, acteurs et musique, qui décident de sa vocation, la scénographie. Plus tard, d’autres maîtres utilisant la technique dans une démarche artistique vont l’inspirer : Jacques de Vaucanson et ses mystérieux automates ; le magicien belge Etienne Gaspard Robert, dit Robertson, qui a créé les fantasmagories en améliorant le concept des lanternes magiques ; ainsi que Oskar Schlemmer de l’école “Bauhaus”…

A partir de 19 ans, il laisse ses pinceaux pour l’électronique. Il passe plusieurs années avec Weber Rehde chez Audax à élaborer les prototypes de haut parleurs à réverbération artificielle et à développer les premières enceintes “miniatures” sorties en France. Il travaille sur des “light-shows” dès la fin des années 60 et découvre le potentiel des lasers dont il créé les premiers spectacles en France. Il devient le scénographe de groupes tels que Magma, Gong, Bachdenkel et les Who… En 1975, il s’associe avec le technicien Patrice Warrener et le musicien Tim Blake (ex-Gong) pour travailler sur un nouveau genre de concept, mariant musique électronique et effets visuels : Crystal Machine. Ils se produisent notamment au Kinopanorama et au Palace à Paris. Malgré le succès de ces performances, les difficultés financières et techniques poussent Szajner à expérimenter ensuite des petits spectacles avec des groupes peu connus, comme au Planétarium. Et puis, déçu de ne pas être impliqué dès la composition musicale, il va, par la force des choses, s’initier à la composition pour concevoir des spectacles où visuel et musique seront réellement complémentaires.

“Les musiciens composaient une musique et ils nous demandaient après de venir plaquer des visions sur la musique. Alors ça ne donnait jamais vraiment un très bon résultat, pare que, théoriquement au départ, il faut concevoir les deux choses en même temps.(…) Alors comme généralement ça ne me satisfaisait pas, à la fin (…) j’ai décide de tout faire moi même.”


:: Ses premières compositions ::


En 1979, Szajner compose son premier album avec Colin Swinburne (Bachdenkel), Clément Bailly(Magma, Gong), Hanny Rowe (Heldon), Klaus Blasquiz (Magma) et Anannka Raghel, sous le nom de “Zed”. L’album “Visions of Dune” est inspiré du roman de Frank Herbert. Le label Island est intéressé à condition qu’il fasse “du Kraftwerk”. Szajner renonce et se contente d’un petit label anglais… Le disque passe inaperçu en France.

L’année suivante, il compose une bande-son de 30 secondes pour un spot cinéma d’Amnesty International contre la peine de mort, alors encore en vigueur en France. Séduite, l’organisation le convainc de composer un album entier. Ce sera “Some deaths takes forever” avec, pour inspiration, la torture morale du supplicié. Klaus Blasquiz et Bernard Paganotti de Magma y participent. Pathé Marconi le signe. Les magazines anglais Sounds, Melody Maker et New Musical Express sont enthousiastes… Le DJ Carl Craig considère cet album comme rien de moins que son favori.

Sur l’album “Superficial music”, qui sort en 1981, Szajner joue seul et pousse l’expérimentation électronique le plus loin possible. A partir de sessions de son premier opus “Visions of Dune” jouées à l’envers et au ralenti, il s’adonne au mixage et à l’ajout d’effets. Il y utilise aussi un instrument révolutionnaire…


:: La harpe laser ::


En 1980, quand Szajner décide de jouer sa musique en concert, il cherche un côté scénique pour pallier à l’aspect statique du jeu électronique… Grâce à son expertise et sa maîtrise de la lumière, il invente la harpe laser, qu’il nomme “Syringe”. Un rayon laser initial est séparé en 12 faisceaux disposés en éventail à l’intérieur d’un cadre triangulaire. Le principe de la “harpe” est que quand un des rayons laser, faisant office de “corde “, est interrompu par la main du musicien, la cellule photovoltaïque à son extrémité envoie un signal à un ordinateur qui déclenche une note. Malgré ses 12 octaves interchangeables par un système de pédales, elle reste un instrument limité, mais qui permet une gestuelle, bienvenue pour un côté plus spectaculaire de la performance.

Après quelques concerts à Paris (Les Halles), Bordeaux, et Metz (Festival de la Science Fiction et de l’Imaginaire), la télévision s’intéresse à lui, ainsi qu’un certain Jean-Michel Jarre séduit par le curieux instrument. Après une première entrevue avec Francis Dreyfus qui invite le concepteur dans son bureau pour lui demander l’autorisation d’utiliser son instrument, Szajner rencontre ensuite Jarre qui le questionne longuement sur les possibilités de la harpe autour d’un dîner. C’est ainsi que l’instrument est finalement embarqué pour l’aventure des concerts en Chine en 1981. Szajner, trop occupé par ses propres activités, n’est pas du voyage, mais un des ses collaborateurs, Claude Lifante, accompagne l’équipe et redessine la harpe pour l’occasion dans une version plus simple mais plus spectaculaire. L’indispensable Michel Geiss est chargé de faire la liaison avec les instruments électroniques. Déçu par l’usage minimal fait de “sa” harpe par Jarre, et n’ayant pas envie de devenir le “M. Harpe Laser”, Szajner délaisse peu à peu son instrument.

C’est aussi en se voyant jouer des claviers de manière si statique à la télévision, qu’il décide peu après de créer un autre instrument, le “Snark”, dont l’apparence serait un “croisement entre une mitrailleuse lourde, une machine à tricoter et une guitare électrique”… C’est un instrument portatif qui dispose d’un clavier de touches spéciales qui fait des accords, et un autre des notes, mais dans le même mode musical. Il est capable de mémoriser jusqu’à 500 opérations, le tout transposé sur trois octaves.

En 1981, Szajner s’associe avec Karel Beer pour former le duo électro-pop The (Hypothetical) Prophets. Cachant leurs visages et se dissimulant derrière des pseudonymes, ils créent une douzaine de chansons en anglais et en français qui sortiront sur deux maxi 45T et sur lùalbum “Around the World with the (Hypothetical) Prophets”, entre 1982 et 1983. Juste après, Szajner change de style en créant un son plus rock (avec guitares, batteries…) et en faisant appel à la voix de Howard Devoto du groupe Magazine. Le résultat est lùalbum “Brute reason”, sorti en 1983. L’album sera le point de départ de deux spectacles en 1983 : “Brute reason” pour le Hammersmith Lyric Theater de Londres, et “La chasse au Snark” pour le Printemps de Bourges.


:: Le compositeur redevient scénographe ::


La reconnaissance des gouvernants vient quand il est fait Chevalier de l’Ordre des Arts et Lettres par le ministre de la Culture de la France, en 1985, et quand il reçoit un prix “Culture et technologies” de ce même ministère en 1986. Après les deux maxi 45T “The Big Scare” (1984), avec Sapho, et “Indécent Délit” (1986), Szajner abandonne la musique pour se consacrer à une nouvelle carrière de metteur en scène multimédia et de concepteur de robots. Il fonde l’entreprise “ART” (Animation, Recherche, Technologie) qui intègre des “androïdes” (robots à l’aspect humain) à des spectacles et à la muséographie, notamment pour Disneyland Paris, et la Cité des Sciences de La Villette (deux animations dans le cadre de l’exposition permanente “Le Zoo des Robots”, 1986-1991). Il conçoit ensuite des plateformes de simulateurs synchronisés avec des projections vidéos pour l’industrie de loisirs. Cette activité se développera en la conception de toute sorte d’attractions pour les parcs de loisirs, ou de la muséographie.

Parallèlement, il crée des spectacles multimédia : “Beispiel” pour le Festival des Arts Electroniques de Rennes, en 1986, “L’Esprit de la révolution”, au Jardin des Tuileries, en 1989, le spectacle commémoratif du 60e anniversaire de la libération des camps de concentration, sur le Parvis du Trocadéro, en 2005. Le travail sur la lumière ne l’a jamais vraiment quitté si l’on en juge par ses sculptures lumineuses comme cette “Pluie de signes” (avec images en mouvement projetées sur des colonnes mobiles) à la Fête des Lumières de Lyon, Place des Célestins, en 2005, ou la rénovation du Palais des Mirages du Musée Grévin (avec jeux de lumières et de miroirs) en 2006. D’autres oeuvres font l’objet d’expositions dans plusieurs galeries. En 2007, il a déposé un brevet sur un procédé unique permettant au public d’interagir avec des images en 3D-Relief.

Après un long silence, Szajner a composé en parallèle 4 nouveaux albums ces dernières années : “Shameless Clichés”, “Shadow Boxing Thieves”, “Death and Other Small Illusions”, and “Bizarre Pieces for Grand Piano and Invisible Pianist” (non encore distribués).


> Discographie :

  • 1979 : Visions of Dune (LP)
  • 1980 : Some Deaths take Forever (LP)
  • 1981 : Superficial Music (LP)
  • 1982 : Back To The Burner / Back To Siberia (7″, avec The (Hypothetical) Prophets)
  • 1982 : Wallenberg / Budapest (12″, avec The (Hypothetical) Prophets)
  • 1983 : Around The World With The (Hypothetical) Prophets (LP)
  • 1983 : Brute Reason (LP)
  • 1984 : The Big Scare (12″)
  • 1986 : Indécent Délit (12″)
  • 2013 : The Lost Tracks – Snark Music (fichiers)

> Vidéos :

Biographie en anglais : Voir sur YouTube

Interview : Voir sur Dailymotion


> Audio :

“Le Snark” live à Londres en 1983 : Ecouter sur YouTube


> Sites officiels :

http://www.szajner.net
http://www.myspace.com/bernardszajner


> Sources :

Photos par Bernard Szajner.

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Autodidacte. “Je suis un autodidacte, complet, un dilettante dans le vrai sens du terme, c’est-à-dire quelqu’un qui fait seulement ce qui lui plaît, ce qui le passionne.”
Entreprenant. “Plaquer ses propres visions sur la musique des autres, ça ne donnait jamais un très bon résultat, parce que théoriquement au départ, il faut concevoir les deux en même temps (…) À la fin, j’ai décidé de tout faire moi même.”
Persévérant. “J’ai emprunté un synthé et j’ai tourné des boutons. Je faisais tout à l’oreille, jusqu’à ce que ça donne quelque chose.”
Evident. “J’avais passé des années à faire de la lumière pour aller sur de la musique. C’était pour moi assez évident de retourner le problème et de faire de la musique à partir de la lumière.”

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