Jean-Michel Jarre rend hommage à Christophe

Christophe est décédé le 16 avril 2020 après avoir été hospitalisé le 26 mars pour une insuffisance respiratoire. Jean-Michel Jarre avait été son parolier et son partenaire de création entre 1973 et 1977. Ils ont signé ensemble quelques unes des plus belles chansons françaises et notamment les deux albums majeurs que sont Les Paradis perdus et Les Mots bleus. Ces dernières années, Jarre et Christophe s’étaient retrouvés pour des collaborations mutuelles sur les albums Electronica 2 du premier et les Vestiges du chaos du deuxième.

A la nouvelle de l’hospitalisation du chanteur, Jean-Michel Jarre avait apporté son soutien le 10 Avril sur ses réseaux sociaux officiels.

A l’annonce de la mort de Christophe, Jarre lui a rendu hommage dans plusieurs médias.


:: Le live – BFMTV ::


:: actu.orange.fr ::

Q: Que ressentez-vous à l’annonce de cette disparition?

JMJ : “C’est une grande tristesse. Je perds un membre de ma tribu. C’était un des plus grands chanteurs français. On pense toujours que les gens qu’on aime sont éternels, et il l’est d’une certaine façon avec ses chansons. Et on ne peut pas lui dire au revoir à cause de ce putain de virus. C’est absurde, il est parti à Brest (où il était hospitalisé)… Je n’ai rien contre cette ville, mais ce n’était pas lui, pas son histoire. Lui c’était la Méditerranée, il faisait du bateau. C’était Tanger”.

Q: Quelle image retenez-vous de lui?

“Il avait un côté acteur, dans la vie, sur scène. Il avait ses bottes de cowboy, un côté Capitaine Crochet (rires). C’était un personnage unique. Il avait une fantaisie qu’on ne retrouve plus aujourd’hui. C’était un joueur de poker. Un joueur de pétanque aussi. Il aurait pu être un pro de la pétanque (rires). Il avait une innocence d’enfant aussi. Et il vivait confiné avant l’heure (rires).

Quand on travaillait ensemble, on passait les nuits en studio, pendant 3-4 mois, à la recherche du son ultime. C’était plus qu’un chanteur, c’était un couturier de la chanson. Il avait aussi un rapport unique au langage, si vous avez parlé avec lui, vous avez entendu ce côté saccadé, ces silences…. J’avais vraiment écrit les +Mots Bleus+ en pensant à ça, c’est tellement lui. Les chansons pour lui étaient comme des biographies fantasmées.

Quand on s’est rencontrés, par l’intermédiaire d’un producteur commun, on s’est rendu compte qu’on aimait tous les deux le cinéma italien, le cinéma américain. Et la magie. Pour son premier Olympia, que j’avais mis en scène, il y a avait un numéro de piano volant, sur le morceau “Emporte moi”, un numéro qui lui foutait les jetons d’ailleurs (rires).

Quand j’ai retravaillé plus récemment avec lui, on avait fini une chanson dans son studio la nuit des attentats du Bataclan, un souvenir fort…”

Q: Quand l’aviez-vous vu pour la dernière fois?

“Avant Noël. Il préparait son concert au Grand Rex à Paris, où il devait jouer fin mars. Il m’avait vendu deux chaises de studio, en me disant +j’te fais un prix+ (rires). C’était un chineur, aussi”.

(source : actu.orange.fr d’après l’AFP, propos recueillis par Philippe GRELARD)


:: La matinale – Europe 1 ::


:: Le Parisien ::

JMJ : “Je n’arrive pas à y croire, même si je savais que son état de santé s’était détérioré depuis une semaine, avoue ce dernier. Il y a une dizaine de jours, il y avait une embellie, il avait pu être transporté à Brest. Je pensais vraiment qu’il allait s’en sortir. Il avait cette niaque, cette énergie vitale, cette espièglerie… J’étais sûr qu’il allait faire un pied de nez à la mort. ”

“C’est un pan de ma vie qui s’écroule, un paradis définitivement perdu, soupire Jean-Michel Jarre. Je perds un des plus grands chanteurs français, bien sûr, mais aussi un membre de ma tribu. Je repense à toutes les chansons qu’on a faites ensemble, « Les Paradis Perdus », « Les Mots Bleus », « Senorita »… A chaque fois, il les chantait comme si c’était la première fois. Comme l’acteur qu’il était dans la vie et sur scène. Ce qui est cruellement ironique et terrible, c’est que cette saloperie emporte un artiste du confinement. ”

“Christophe avait un rapport unique au langage, une manière de s’exprimer très particulière, rappelle son ami. Dans Les mots bleus, j’avais essayé de traduire cela en le faisant chanter : « Je lui dirai les mots bleus/Les mots qu’on dit avec les yeux/Parler me semble ridicule/Je m’élance et puis je recule/Devant une phrase inutile/Qui briserait l’instant fragile/D’une rencontre, d’une rencontre ». C’est exactement Christophe, ça ! Il me l’avait d’ailleurs dit une nuit. Les textes que je lui avais écrits étaient comme une biographie fantasmée.”

“On avait fini d’enregistrer Les Vestiges du Chaos chez lui, confinés tous les deux la nuit du Bataclan, se remémore-t-il aujourd’hui. Quand je pense à toutes ces nuits qu’on a passées ensemble à chercher le son ultime, à toutes ces nuits où on s’appelait pour parler… Sans lui, mes nuits seront bien vides.”

“J’ai tellement d’images touchantes ou marrantes qui me reviennent. Au studio Ferber, Christophe n’enregistrait jamais ses voix dans une cabine mais accroupi sous la console avec sa chambre d’échos italienne qui lui faisait une voix un peu nasillarde. Perdre un ami est toujours triste, mais un être aussi atypique, mélange d’enfant innocent et de flambeur à la Fellini, ce dandy « un peu vieilli un peu maudit » (NDLR : il cite le texte des « Paradis perdus » écrit par lui pour Christophe) qu’il a toujours été.”

(source : leparisien.fr par Eric Bureau)


::Journal 8H – France 2::


:: news.yahoo.com ::

Q : Comment et quand avez vous appris sa disparition ?

JMJ : “Hier soir, par Julie son assistante vers 10h. J’ai si peu dormi cette nuit, on a beaucoup téléphoné entre amis et musiciens… Mais c’est important aujourd’hui de vous répondre pour lui rendre hommage, c’est même d’ailleurs la seule façon de lui dire Au revoir…”

Q : Depuis quand vous vous connaissiez ?

“Depuis le début des années 70, on formait une “tribu”. On a concocté ensemble “Les mots bleus”, “Les paradis perdus” ou encore “Senorita”.

Et ce qui est fou c’est que Christophe était un artiste du confinement, il pouvait passer des semaines en studio, tout ça la nuit. Il pouvait lui arriver de ne pas sortir pendant 2 mois…
Travailler avec lui c’était drôle et inattendu, il était hors norme, hors format, il va beaucoup me manquer.

Par exemple, il faut savoir qu’il ne se considérait pas comme un chanteur mais comme quelqu’un qui faisait du bruit avec sa bouche. Chez lui c’était comme dans une brocante, avec des tas d’objets, des juke boxs, des Cadillacs…”

Q : Quand vous êtes vous parlé la dernière fois ?

“Il y a 1 mois avant tout ça, il préparait sa tournée qui devait avoir lieu au Grand Rex en Mars… Le dernier son de sa voix c’est ce message à 4h du matin, il m’a contacté pour savoir si j’avais des masques…. Quand je l’ai rappelé en fin de matinée, je suis tombé sur son répondeur, il était déjà parti à l’hôpital…

Mais j’ai su il y a 10 jours qu’il allait un peu mieux et c’est pour cela qu’il a pu être transféré en Bretagne dans un hôpital. Mais cette saloperie ne pardonne pas… C’est incroyable qu’il ait fini ainsi en catimini en Bretagne sans que l’on puisse lui dire Au revoir. D’ailleurs Christophe était tellement malin que je pensais qu’il allait s’en sortir. Mais il avait cette faiblesse pulmonaire.”

Q : Que retiendrez-vous de lui ?

“Mon plus beau souvenir c’est un spectacle à L’Olympia en 1975 dont je faisais la mise en scène, j’aimais l’idée que ce soit un spectacle avec nos influences croisées italiennes ou américaines. Je voulais qu’il soit sur un piano volant. J’ai trouvé un magicien dans le massif central. On l’a fait, il avait peur de grimper en l’air, c’était fort ! Christophe c’était un poète Pop, un Don Quichotte lunaire.

Mon dernier souvenir de création avec lui, c’était dans son dernier album “Les vestiges du chaos”. On a enregistré chez lui une nuit à Montparnasse le titre “Walking the mile”. C’était la nuit de l’attaque du Bataclan…

Il chantait mais jouait aussi magnifiquement de l’harmonica, il l’a fait dans mon album “Electronica”.

Aujourd’hui je pense à Julie et à Véro sa fille et sa femme, mais aussi à Julie son assistante que je lui avais présenté et qui était la “reine” de sa vie professionnelle.”

(news.yahoo.com, propos recueillis par Alexandre Delpérier)


:: C à Vous – France 3::


(JMJ à 4’45)


:: Libération ::

Enfin, hommage ultime, Jean-Michel Jarre, qui ne pourra pas assisté aux funérailles du chanteur pour cause de confinement, a repris une dernière fois sa plume pour Christophe pour lui écrire cette très belle lettre en guise d’éloge funèbre parue dans Libé :

«Toi le p’tit gars imprévisible de Juvisy, le Gatsby de Tanger, le playboy de la Riviera, le fantôme du paradis des nuits de Montparnasse, qu’es-tu allé faire en Bretagne pour nous jouer ce sinistre tour, sombre tonnerre de Brest, toi qui as toujours préféré la Méditerranée à tous les océans.

De toi, j’ai tout connu, de ta gueule d’ange avec mocassins Berluti et Lamborghini assortie, jusqu’à ta gueule de moustachu avec bottes de mousquetaire debout à la barre de la console de ton navire brocante, jusqu’au lever du jour… Je t’ai écrit pour la fin du Dernier des Bevilacqua cette phrase prémonitoire : “J’ai bientôt trente ans, j’ai bientôt trente ans /Et je resterai le même /Long est le chemin qui mène /jusqu’à l’ironie suprême…” Oui mon Chris, tu es resté le même, oscillant constamment entre fragilité extrême et maîtrise absolue.

On s’est connu grâce à un autre dandy un peu maudit, très érudit, l’immense Francis Dreyfus, notre éditeur et producteur commun. On s’est enfermé tous ensemble pendant trois mois, chaque fois pour concocter ce qui allait devenir les Paradis perdus, puis les Mots bleus, deux albums-concepts sophistiqués qui étonneraient même les Anglais aux dires de notre chanson.

On s’est cerné sans trop se parler, sur les sons qui naissaient au studio Ferber sous la houlette de René Ameline, le maître des lieux. J’ai commencé d’écrire ce que tu me décriras des années plus tard comme les prémices d’une biographie fantasmée, non pas une suite de chansons mais des textes, comme les scènes d’un film dont tu serais le futur héros chanteur, moqueur, arnaqueur, joueur, chercheur jusqu’à pas d’heure.

Nos goûts communs pour le cinéma italien, celui de Fellini, et américain, de Kazan ou John Ford, m’ont poussé à imaginer ce personnage improbable entre le James Dean de la Fureur de vivre et les Vitelloni façon Dolce Vita, les films qu’on allait voir chez toi au bout de la nuit en version originale 35 mm.

Cruel paradoxe, toi, l’as du confinement capable de ne pas sortir pendant des semaines à la recherche du son ultime, toi le roi de la distanciation diurne, tu t’en vas en plein isolement planétaire, isolation en catimini au bout du pays sans qu’on puisse venir te dire au revoir.

Et puis il y a eu l’Olympia, l’idée de mettre nos deux albums en live que je mettrais en scène. Nourri de Topor et de Bob Wilson, je t’imaginais multiple avec nains et géants, vieillard de 2001 réécoutant Aline, et je t’imaginais pour la version live d’Emporte-moi, toi sur un piano volant. Mon ami le magicien Dominique Webb me dit : “Je connais un mec dans le massif central aux yeux vairons, il construit des trucs dingues.” C’est ainsi que je t’ai convaincu de monter sur ce drôle d’engin après que tu m’as demandé de l’essayer au cas où.

Et puis il y a eu cette nuit étrange où nous avons enregistré les Vestiges du chaos, la chanson éponyme de ton dernier album, confinés dans l’ignorance du chaos extérieur, car c’était la nuit du Bataclan. Ton dernier appel, il y a trois semaines très tard dans la nuit, était pour me demander si j’avais des masques. Quand j’ai eu ton message le lendemain, tu n’étais déjà plus là.

On pense que les gens qu’on aime sont éternels et ils le sont, et tu l’es mon Chris, ciao, ciao, baci, baci.»

(source : liberation.fr)


:: Journal 13H – France 2 ::

Dernière mise à jour 18.04.2020

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