Le concert de Baalbeck au Liban (30 juillet 2016)

Comme annoncé depuis le mois de mai (voir notre news), les organisateurs du Festival de Baalbeck, au Liban, ont invité Jean-Michel Jarre pour un concert le 30 juillet 2016 dans le cadre de son édition 2016 qui célèbre les 60 ans de cette institution. Ce concert fait partie de la tournée Electronica Word Tour du musicien débutée en Juin à Barcelone. JMJ est déjà venu jouer au Liban dans le cadre de sa tournée “2010” et à l’occasion de l’inauguration des Souks de Beyrouth. L’évènement de Baalbeck est d’ailleurs organisé avec la société We Group qui était déjà à l’origine du concert de Beyrouth.

::Mon voyage à Baalbeck::

Familier avec le Liban avec lequel j’ai des attaches et persuadé que le concert sera un évènement dans le cadre grandiose des vestiges romains du site de Baalbeck, j’ai donc organisé mon voyage faisant fi des mal informés qui ne voient cette bourgade provinciale que comme la porte vers le conflit syrien (la frontière est à 10 km) et comme un fief du Hezbollah, ce qui est deux fois vrai, mais qui ne justifie pourtant pas un excès de paranoïa.

Parti en voiture de Beyrouth et de son étroite plaine littorale le 30 juillet au matin, je file vers l’Est et franchis le Mont Liban, chaine montagneuse et château d’eau qui fend le pays du nord au sud, pour redescendre vers la plaine de la Bekaa et ses riches terres agricoles dont des vignobles. La proximité avec la Syrie, fait que les “check points” de l’armée se multiplient sur la route. Au bout d’une belle ligne droite au milieu de la large vallée, j’atteins enfin Baalbeck après environ 2H30 de routes tortueuses et encombrées.


L’entrée du public

Le site des ruines de Baalbeck se trouve au coeur de cette petite ville près d’un élégant quartier dont plusieurs imposantes anciennes bâtisses typiques ont été rénovées. C’est là qu’est mon petit hôtel tout simple. Accueil et service très prévenant comme toujours au Liban. Après un brin de causette avec le patron qui a fait ses études en France, je décide de rejoindre le site des ruines romaines, donc du concert, qui se trouve tout près, un peu plus bas.

A l’entrée du site, j’échange mon billet électronique du concert contre un ticket en bonne et due forme. A côté les visages des artistes invités du festival marquent l’entrée pour le concert. Depuis là on aperçoit les gradins montés sur échafaudages (photo ci-dessus) mais on me fait comprendre que c’est trop tôt pour entrer. Comme le site est avant tout une attraction touristique, je décide de prendre un billet pour la visite en espérant pouvoir apercevoir quelque chose de la scène.


Le Temple de Bacchus

Il fait très chaud, le soleil tape dur sur les pierres. Le site, classé Patrimoine mondial de l’Unesco, rassemble plusieurs vestiges romains importants dont les fameux Temple de Jupiter, qui fut le plus grand de l’empire, mais dont il ne subsiste debout que quelques colonnes gigantesques, et le Temple dit de Bacchus (photo ci-dessus) qui, contrairement à son voisin, a résisté à la démolition et impressionne par ses dimensions (supérieures au Parthénon d’Athènes) et par son état de conservation.

::Les derniers préparatifs du concert::

Après une rapide visite des autres points d’intérêt du site (que j’avais déjà visités il y a quelques années), je fonce vers le Temple de Bacchus encore accessible à la visite. La scène du concert a été installée au pied de l’entrée du temple. Les caisses frappées du logo Jarre sont disséminées ça et là. Les 11 écrans leds de 6 m de haut sont installés mais ils ne sont pas suspendus sur des rails, comme précédemment dans les autres festivals, mais posés sur la scène. Il y a une 1ère rangée de 4, puis deux rangées de 2 intercalés vers l’intérieur, puis 2 formant un grand écran au fond. Le dispositif s’étale sur 25 m ce qui est beaucoup plus que les formats vus dans les autres festivals.

Les instruments sont en place, protégés du soleil par des toiles blanches. Trois tourelles pour les lasers sont placées derrière chaque musicien. Quatre autres lasers ont été placés sur ls côtés de la scène. Entre la scène et le temple de nombreux projecteurs ont été posés à même le sol ou au sommet du temple pour le mettre en valeur pendant le concert. La sonorisation est suspendue à quatre tours métalliques placées devant et sur les côtés des gradins. Jarre l’avait promis, une scénographie spéciale a été imaginée pour Baalbeck

Évidemment, à Baalbeck, nous avons l’immense privilège de jouer dans un site exceptionnel, et par respect pour le lieu, et pour le mettre en valeur, j’ai modifié notre disposition scénique exprès : nous avons fait du sur-mesure.” (lorientlejour.com 26/07/2016)


La scène et les gradins

Bien décidé à essayer de croiser certains des musiciens et d’assister au sound check, je me pose discrètement sur une chaise laissée là près des gradins et de la scène en essayant de me faire oublier. Malgré la présence de l’armée, de la police et de la sécurité qui verrouillent maintenant l’accès du site, personne ne vient me demander ce que je fais là. Moi, je fais le mort et analyse les moindres détails de l’installation scénique… Vers 17H, arrivée des techniciens dont Alain Courieux et Patrick Pelamourgues qui passent devant ma chaise. L’équipe n’a pas résidé sur place mais à 45 minutes de là, probablement à Zahlé.

Alors que je regarde les techniciens s’affairer sur la scène, je crois reconnaître, parmi un petit groupe qui passe devant moi et sous un grand chapeau, la manager Fiona Commins que suit un grand type en chemise noire, lunettes d’aviateur et jeune barbe grisonnante… C’est Jean-Michel Jarre à 2 mètres ! Je bondis, bafouille un truc improvisé à dire, et ai la présence d’esprit de demander à faire une petite photo souvenir qu’il m’accorde avec le sourire. Encore affalé sur mon petit nuage, c’est Marco Grenier qui passe à son tour et que j’aborde. Derrière lui, Stéphane Gervais vient spontanément vers moi pour reprendre notre petite causerie amicale entamée à Bayonne avant d’aller à son tour rejoindre la scène.


Stéphane Gervais

Vers 19H, c’est le sound check (les répétitions ont déjà eu lieu la veille au soir). JMJ est aux côtés d’Alain Courieux devant la console au milieu des gradins pour tester le son rendu par quelques morceaux en isolant les pistes ici et là. Claude Samard et Stéphane Gervais jouent leurs partitions pendant que Patrick Pelamourgues remplace le maestro à ses claviers ! Les deux morceaux les plus joués sont “Chronologie 4” et “Rendez-vous 4” ce qui laisse à penser qu’ils seront joués ce soir. JMJ ne viendra finalement sur scène que pour jouer quelques extraits, dont “Equinoxe 7” et “Conquistador“, et improviser sur sa tablette. Vers 19H45 les musiciens quittent la scène.

Le jour baisse. La musique d’En attendant Cousteau et les lumières bleues se répandent sur le site. Quand les premiers spectateurs escaladent les gradins, je rejoins mon siège choisi assez loin pour jouir du décor dans son ensemble. La perspective est un peu gâchée par la tour construite devant le temple quand le site de Baalbeck a été jadis transformé en forteresse.


JMJ teste sa tablette

Le public est nombreux, peut être une dizaine de milliers de personnes. Des bus spéciaux ont été affrétés depuis Beyrouth. Cette affluence n’était pas évidente sur le papier dans un pays où Jarre n’est certainement pas aussi populaire qu’en Europe, dans une ville aussi reculée (pas de train ni d’avion depuis Beyrouth ou ailleurs, mais la même route tortueuse et encombrée que j’ai prise), et avec un prix des places entre 75 000 et 330 000 Livres Libanaises (soit entre 50 et 220 dollars tout de même). Comme aux Souks de Beyrouth en 2010, les spectateurs appartiennent à toutes les générations, avec une dominante de francophiles, probablement beaucoup de résidents français aussi.

::Concert 1ère partie : de “The heart of noise” à “Exit”::

Le concert commence vers 20H45 soit 3/4 d’heure après l’horaire prévu car une partie du public est en retard. Il n’y a pas d’artiste en première partie ce soir. “The heart of noise” ouvre la prestation. Les rideaux de leds sont immobiles ; JMJ et les musiciens ne sont donc pas cachés derrière comme les précédents concerts mais sont plongés dans le noir. Tout le site est illuminé de rouge puis de bleu en réponse aux lignes verticales colorées formées par les leds. Malgré la chaleur, le compositeur porte son uniforme de cuir comme depuis le début de la tournée.


Circus

Sans transition, les musiciens enchaînent avec “Automatic” qui est illustré par une dominante de lignes dorées très dynamiques alors que les pierres se colorent de rouge, de bleu ou de rose. Suit un petit discours du compositeur qui alterne français et anglais (les deux langues sont très courantes au Liban), lors duquel il souligne qu’il souhaite par ce concert “montrer au monde que le Liban est un grand pays d’hospitalité et de générosité”.

Commencent alors les premières notes d'”Oxygène 2” dans un décor blanc puis rouge puis bleu. Les rideaux de leds montrent des figures géométriques obliques et des gros plans du compositeur en direct. Le morceau se termine avec JMJ jouant le chorus de fin sur le Memory moog. Suivent des formes géométriques blanches qui annoncent le jovial “Circus“. Les carrés, ronds et triangles colorés clignotent dans tous les sens avec là encore les murailles dans les tons rouges et bleus. JMJ s’installe ensuite au GRP Modular et au Memory Moog pour l’inédit “Web spinner” dans un décor rose et bleu.


Exit

JMJ reprend ensuite le micro pour présenter sa collaboration avec Edward Snowden intitulée “Exit“. Rythme techno endiablé qui donne sa cadence au mitraillage des formes géométriques avec un effet de perspective qui les font presque sortir de leurs écrans. Cet effet est renforcé par l’obscurité dans laquelle les temples sont alors plongés. Ils se teintent ensuite de rouge pour mieux souligner le visage blanc du lanceur d’alerte qui apparaît par portions sur les différents écrans lors de sa séquence parlée ce qui à mon avis donne un meilleur effet que le simple écran carré des concerts précédents.

::Concert 2ème partie : de “Equinoxe 7” à “Glory”::

Le temple de Bacchus s’habille ensuite de vert pour le titre “Equinoxe 7“. Les écrans montrent des vidéos des mains et du visage de JMJ. Sans transition, c’est “Conquistador” qui prend la suite de la track list. Pour ce titre, la simplicité des grandes bandes blanches sur les rideaux de leds font mieux ressortir le décor antique que les techniciens parent tour à tour de rouge, de blanc, de vert… En fin de morceau, JMJ prend sa guitare assourdissante (le mot est faible) et sa prestation est projetée en noir et blanc sur les écrans de leds.


Oxygene 8

Petite transition dans cette suite de titres enchaînés pour présenter les musiciens. Pas facile d’être original pour différencier les instruments des deux musiciens qui tous deux jouent des claviers et des percussions maisle maestro s’empêtre dans des histoires “de percussion et de drums” et “de bestioles analogiques” qui laissent perplexe. De grandes lignes horizontales bleues accompagnent le début du titre suivant : “Oxygène 8” pour lequel JMJ joue la mélodie sur le Memory Moog. Les écrans s’éteignent ensuite pour faire la part belle aux vestiges romains rouge sang et aux longs faisceaux lumineux blancs orientés vers le ciel.

C’est lors de la deuxième partie du concert que le public libanais va se réveiller. D’abord avec le magnifique ballet des sept lasers qui tracent des lignes, des cônes, des triangles pour accompagner le titre “Zero gravity“. Ces triangles oranges en milieu de morceau sont particulièrement réussis. C’est alors que JMJ assène sa deuxième salve avec le très dansant “Brick England“. Le public se lève spontanément pour suivre la cadence des deux personnages rouge et bleu projetés. C’est Stéphane Gervais qui chante au vocoder sans la voix off originale du chanteur des Pet Shop Boys, ce qui fonctionne pourtant très bien en live. JMJ prend son keytar en bandoulière et part à la rencontre d’un public conquis.


Immortals

Petite pose poétique avec “Immortals” et ses jolis flocons tournoyants projetés sur les écrans tandis que les murailles antiques se couvrent de jaune et de bleu. Le compositeur clôture ce morceau avec une improvisation sur sa tablette. Le site est alors plongé dans le noir le plus complet pour mettre en valeur les effets 3D des volumes géométriques blancs qui illustrent le morceau “The architect“. Les cubes dansent devant le public debout. JMJ les emporte alors avec son carton planétaire : “Oxygène 4“. Des formes de feu, rappelant le fameux visuel du crâne dans la planète Terre, défilent sur les écrans tandis que d’innombrables faisceaux lumineux bleus sortent de toute part de la scène. La moitié des spectateurs ont dégainé les smart phones…

Nouveau titre, nouveau classique : “Equinoxe 4” cependant revisité avec Samard et Gervais martelant leurs percussions tandis que des samples du titre “Glory” achèvent de donner au titre un côté marche militaire. Les animations des petits personnages bleus à jumelles jaunes sont de retour et très bien mis en valeur avec cette large façade d’écrans. La danse des bonhommes est accompagnée de grands faisceaux jaunes du plus bel effet tandis que les murs se parent de rouge puis de bleu. Les musiciens jouent alors “Glory” illustré d’arcs de cercles blancs projetés prolongés de faisceaux tout aussi blancs sur un fond bleu ou rose alors que JMJ a du mal à faire chanter les “Ho Ho Ho” au public.


Equinoxe 4

:: Concert 3ème partie : “The time machine” à “Rendez-vous 4”::

Après le petit commentaire sur le doute quant au bon fonctionnement de l’instrument mal testé faute d’obscurité lors des répétitions, JMJ dégaine sa harpe laser pour en jouer tout au long du fantastique “The time machine“. Après une introduction faite de demi cônes rouges, les lasers se déchaînent au fur et à mesure du titre pour offrir un déluge de faisceaux verts qui rejoignent ceux des lumières et de la harpe tandis que de larges segments et cercles blancs tournoient autour d’une scène plongée en pleine science fiction. Ma-gis-tral !

C’est devant un public sonné que le compositeur annonce un (premier) “petit dernier” : “Stardust“. Les lasers balaient le public qui en raffole autant que de la musique qui le fait danser. Ce soir, point de rideaux les uns derrière les autres pour donner une illusion de 3D au cube qui accompagne le morceau, mais celui-ci a été répliqué sur plusieurs écrans à la fois pour compenser la perte d’effet. Après un trop court message de remerciements au public, JMJ quitte la scène baignée de bleu…


JMJ pendant les rappels

Le compositeur, débarrassé de ses lunettes, et ses musiciens reviennent après quelques minutes pour un rappel que le public applaudit chaudement : “Chronologie 4“. Le titre est amputé de son introduction pour coller au format court de tous les titres joués. La scénographie alterne projections de formes blanches et de vidéos live dans des lumières bleues, vertes et mauves et des lasers blancs en forme de cônes et de triangles.

Contre toute attente, après avoir remercier les organisateurs, JMJ et ses musiciens offrent pour la première fois depuis le début de la tournée un deuxième rappel. Sans surprise, le public danse sur “Rendez-vous 4” avec des projections très colorées bientôt rejointes par des lasers jaunes dessinant des cubes, puis un deuxième tableau fait de cônes de lasers bleus traversés de lignes rouges devant le décor habillé de rose. C’est au milieu des applaudissement du public debout que le compositeur ému lance “C’est important pour nous d’être ici. On peut faire des concerts au Liban !”. Il est 22H20 ce samedi 30 juillet…


Chronologie 4

::Le bilan du concert::

Globalement, le décor illuminé des murailles antiques du site à donné un vrai plus à la scénographie en agrandissant son échelle et sa profondeur. Les couleurs ont été adaptées aux tableaux des rideaux de leds soit en rappelant certaines teintes, soit en jouant sur des oppositions pour augmenter le contraste. L’ajout de ces grands faisceaux lumineux pointés vers le ciel entre la scène et le temple de Bacchus ont, eux, ajouté une dimension verticale. Ces éléments ont vraiment fait la différence sur des titres comme “Oxygène 2” ou “Conquistador” dont la scénographie originale est moins extravagante que pour d’autres titres. Ils nous rappellent aussi les grands concerts en extérieur que nous aimons tant !

L’immobilité des écrans leds n’a pas eu d’impact majeur sur la scénographie et a été largement compensée par leur disposition sur une plus grande longueur qui a donné un bel effet panoramique pour les animations d'”Equinoxe 4″ et de “The architect” notamment. Les lasers souvent dirigés vers le public permettent d’englober celui-ci dans le spectacle. C’est bien vu. Pour en profiter, il ne faut pas être juste devant la scène. Parmi les tableaux les plus réussis, ma palme va à “The time machine” et à “Immortals”.


The time machine

Côté musique, je n’ai pas remarqué de différences significatives par rapport à Bayonne, à part les deux rappels. Outre “Electronica”** bien sûr, la track list fait donc la part belle à “Oxygène” et “Equinoxe”. Tous les titres sont adaptés dans un format court et sont vite enchaînés permettant d’en aligner une vingtaine en un peu plus d’1H30. Les nouvelles orchestrations intègrent des rythmiques puissantes, en particulier sur “Equinoxe 4” et “Oxygène 8”. L’inédit expérimental “Web spinner” déconcerte le public et le fait de le faire suivre immédiatement par “Exit” n’arrange rien à mon avis. Le son, pour ce qui m’en a semblé, était très bon.

En ce qui concerne les interventions orales de JMJ, ses commentaires sur le Liban étaient légitimes et visiblement bien réfléchis. Bravo ! Par contre la présentation des musiciens, comme lors des concerts précédents, était peu flatteuse. D’ailleurs les musiciens n’ont pas les honneurs de saluer le public au devant de la scène sur cette tournée…


Stardust

Comme à Bayonne, le public s’est levé sur “Brick England”, “Stardust” et les tubes anciens. Côté scénographie, ce sont certainement les lasers qui ont le plus séduit les spectateurs. Parmi les commentaires autour de moi, j’ai retenu un “féérique”…

Toute cette expérience, avec ce contexte, avec ces rencontres, avec ce cadre, restera un souvenir incroyable et indélébile. Merci Jean-Michel Jarre et toute l’équipe pour ce moment d’évasion taillé sur mesure pour Baalbeck et qui clotûre de très belle manière la premiére partie de la tournée Electronica !

Lire aussi l’interview du journal L’Orient Le Jour.

Mis à jour le 05/09/2016

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