Passion Classique (Interview 30/05/2016)

Passion classique, Radio classique, 30/05/2016

Olivier Bellamy : Jean-Michel Jarre, bonsoir.

Jean-Michel Jarre : Bonsoir

Je suis très heureux de vous recevoir dans Passion Classique puisque j’attends votre venue depuis très longtemps, mais je sais que vous avez un agenda de folie m’a t-on dit !

Oui, c’est vrai que j’ai passé ces six dernières années sur un projet qui m’a mangé la vie, mais je le dis de manière positive. C’est un projet de collaborations avec des artistes qui ont été des sources d’inspiration, et qui le sont toujours, et qui sont évidemment liés à la scène électronique, directement ou indirectement, puisqu’on y retrouve même Lang Lang. On peut se demander qu’est-ce qu’il viendrait faire dans un projet comme ça, alors pourquoi je cite Lang Lang ? C’est qu’en fait tous ces artistes ont en commun une passion organique du son et qu’à travers l’instrument qu’ils peuvent utiliser, ce qui les intéresse avant tout c’est le son de l’instrument. C’est comment, finalement, même à travers une oeuvre classique ou pas, arriver à avoir cette approche organique qui fait que même un virtuose peut être un virtuose parce que justement il va aborder une oeuvre d’une autre manière. En ce qui concerne “Electronica”**, puisque c’est de ça dont il s’agit, ils m’ont fait l’amitié de tous me dire oui et je me suis retrouvé avec près de deux heures et demie de musique à faire, d’où la sortie de ce projet en deux albums : un album qui est sorti avant Noël et un album qui sort ces jours-ci et qui s’appelle donc “Electronica 2: the heart of noise“, au coeur du bruit.

Pourquoi au coeur du bruit ?

Alors “au coeur du bruit” pour plusieurs raisons. D’abord parce que la musique électro acoustique et la musique électronique est née en France et en Allemagne, avec notamment des gens comme Pierre Schaeffer et la musique concrète. Quelqu’un comme Pierre Schaeffer a révolutionné la manière dont on conçoit la musique aujourd’hui. Les DJ aujourd’hui sont les petits enfants ou les arrière petits enfants de Schaeffer, d’une manière indirecte, puisque c’est le premier ou un des premiers à avoir dit que la musique n’était pas seulement faite de notes et fondée sur un solfège mais était faite de sons et qu’on pouvait sortir dans la rue et enregistrer le son de la pluie ou du vent et à partir de ces bruis en faire de la musique.

L’organiser, c’est à dire…

L’organiser, oui c’est ça exactement, c’est tout à fait le terme qui convient. Et puis au coeur du bruit, c’est aussi l’idée que parmi les sculpteurs dans la Grèce antique certains considéraient que les sculptures étaient déjà à l’intérieur de la pierre qui était encore brute, qu’elles existaient déjà et qu’un sculpteur ne faisait que révéler ce qui existait déjà dans la roche. Et l’idée derrière ce titre, c’est de se dire qu’au fond dans un bruit brut toutes les oeuvres existent qu’elles soient classique, jazz ou électronique.

Nous allons écouter un extrait de cet album Electronica 2 de Jean-Michel Jarre. Je rappelle juste aux auditeurs que mercredi 13 juillet vous serez à Bayonne, pour le festival des arènes, le 14 juillet vous serez au festival de Nîmes, le 12 décembre à Bercy. Il y a bien sûr beaucoup d’autres dates et il y a aussi cet album dont voici un extrait.

(extrait de These creatures de Jean-Michel Jarre et Julia Holter)

Jean-Michel Jarre peut-on dire que vous êtes l’un de ceux qui ont mis la musique électro acoustique, la musique concrète, la musique de synthétiseurs, la musique d’ordinateurs, qui l’avez rendue populaire ?

Je pense, enfin ce n’était pas nécessairement le but dans ma tête. Pour moi, au départ, l’idée était vraiment de faire un pont entre la musique expérimentale et la mélodie. J’ai toujours considéré, à la différence d’un certain nombre de musiciens d’avant garde ou contemporains, de l’époque où j’ai commencé, [dont la musique] est un genre en soit, qui n’est pas lié à aujourd’hui, qui est plutôt lié à hier, aux années 50-60-70, que pour moi la mélodie est au coeur de la musique. C’est donc cette presque obsession que j’avais d’essayer de faire un pont entre la musique expérimentale, les expérimentations sonores, et la mélodie, ce qui m’a conduit à des oeuvres comme “Oxygène” par exemple. Très imprégné en fait de mon éducation classique et de mon influence classique.

Certains artistes, Jean-Michel Jarre, recherchent la complication à tout prix. On voit ça en littérature, on voit ça en peinture, on voit ça en musique. Et puis d’autres, j’allais dire, certains cherchent et d’autres trouvent. Certains justement séparent le naturel, l’évidence, la clarté classique de la phrase qu’ils arrivent à toucher un plus grand nombre. Alors évidemment quand on remporte un très grand succès on est montré du doigt, on est jalousé, on est envié, on vous traite de profiteur, d’opportuniste. Est-ce que ça vous est arrivé ?

Bien sûr. Dans ce que vous venez de dire il y plusieurs questions induites. La première, c’est le fait que comme on dit en anglais, “less is more”, c’est à dire qu’une oeuvre réussie c’est celle qui est la plus directe et la plus simple, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne soit pas complète ou qu’elle soit primaire. Ca me rappelle toujours cette fameuse histoire que j’ai vécue à Shanghaï quand je suis allé en Chine [pour] la première fois, juste après l’époque de Mao. Je me souviens de quelqu’un qui avait passé une commande à un peintre chinois d’un oiseau. C’était un très grand maître en calligraphie. Il avait accepté cette oeuvre de juste dessiner un oiseau à cette femme qui était américaine. Et puis le temps passait, “alors mon oiseau arrive ?” Et il n’arrivait jamais. Et puis, au bout de trois mois, il lui fait signe et il lui dit : “Ca y est je suis prêt. Venez dans mon atelier.” Elle arrive dans son atelier, et il lui montre une toile blanche. “Non, non, ce n’est pas fait ! Je voulais que vous veniez parce que je vais faire l’oiseau maintenant”. Il prend un pinceau et il fait l’oiseau en cinq traits [et] en quatre secondes et il lui explique : “Pour arriver à ça, j’en ai fait deux mille.” Et ça résume pour moi le processus créatif, c’est à dire qu’il y a plusieurs manières d’aborder les choses. Si on touche à un moment donné le public, ce n’est pas nécessairement, et là je parle très au-delà de moi, parce que c’est quelque chose de simple, [mais] c’est le fait qu’à un moment donné on touche quelque chose qui est universel et dont on n’a pas nécessairement le contrôle. Et je pense que c’est çà que l’on a dans les oeuvres qu’on aime les uns et les autres : cette espèce de dimension un peu magique et un peu incontrôlée de la part des auteurs.

Jean-Michel Jarre, vous êtes fasciné par certains architectes comme Norman Foster, l’Anglais, ou le Brésilien Oscar Niemeyer, ou Jean Nouvel ceux qui ont un rapport avec la ville…

Ou Zaha Hadid qui nous a quitté il y a très peut de temps, également…

Pensez-vous que, comme le disait Goethe lui-même, que la musique est une architecture ? Et est-ce ainsi que vous concevez vos méga concerts tel que vous l’avez fait Place de La Concorde, ou en Chine, ou en Russie ou à travers le monde ?

Oui je pense qu’il y a un très grand lien entre l’architecture et la musique. Si je n’avais pas été musicien, je pense que j’aurais été architecte. Je pense que l’architecture, comme la musique, c’est d’abord le geste de la main. Je parlais tout à l’heure de ce calligraphe, je pense que c’est le trait, c’est le geste. C’est aussi la prise en compte de l’espace dans le temps. L’architecture, c’est une manière de faire vibrer l’air. La musique, c’est aussi une manière de faire vibrer l’air. Notre travail à nous, musiciens, c’est un travail de l’invisible, c’est à dire qu’il s’agit simplement, je dis effectivement simplement de manière presque invisible, de faire vibrer l’air. Et suivant comment vous faites vibrer l’air depuis votre instrument, de votre oeuvre jusqu’aux oreilles de l’auditeur, suivant comment vous allez faire vibrer l’air de manière très minimale, très invisible, vous allez pouvoir déclencher des émotions différentes qui peuvent aller du fait d’être touché, d’être ému, d’être ennuyé, de vouloir danser jusqu’au bout de la nuit. Tout ça vient seulement, de manière très subtile, de faire vibrer l’air d’une manière ou d’une autre. Et cette manière très spécifique de faire vibrer l’air c’est ce que l’on peut appeler le style d’un musicien.

En tout cas, il y a quelque chose de toujours fluide, de toujours spatial dans votre musique depuis Oxygène, ce tube qui vous a fait connaître dans le monde entier et dont on fête les 40 ans. Donc ça fait déjà 40 ans que vous êtes célèbre Jean-Michel Jarre.

Les tubes, et je me garderai bien de faire des jugements de valeurs en me comparant à qui que se soit d’autre, existent dans toutes les formes de musique. C’est vrai que ça vous marque. Il y a pas mal de musiciens classiques qui ont fait des tubes, et en fait quand on gratte derrière le tube, on s’aperçoit qu’il y a d’autres choses. C’est la même chose, je pense, dans “Oxygène”, qui est un album en somme assez sombre. Il était très lié aussi, comme son titre l’indique, à quelque chose [comme] le manque d’oxygène, au questionnement que je pouvais avoir à ce moment là, jeune musicien français ou européen, sur l’avenir de la planète, sur une conscience écologique. La musique étant, en ce qui me concerne, [et] d’une manière générale, liée à l’espace et au temps, qui sont deux paramètres importants de la musique, forcément la dimension environnementale, architecturale, tout ça faisait partie de mes sources d’inspiration, de mes rêves, de mes craintes et c’est comme ça qu’Oxygène est né.

Jean-Michel Jarre, vous avez pris des cours de contrepoint, des cours d’harmonie, ce que je veux dire c’est que vous êtes un musicien sérieux. Vous entendez vous-même dans une musique très simple si c’est quelqu’un qui se contente de bidouiller des instruments aussi ou s’il y a, comme on dit, un background derrière ? L’art cache l’art ?

Quand vous faites allusion à mes études, j’ai une pensée émue pour Jeannine Rueff qui était mon professeur d’harmonie au conservatoire de Paris. C’était quelqu’un qui m’a beaucoup, beaucoup, appris au delà de la technique, qui m’a appris, un petit peu comme le jeu de go, à structurer sa pensée, à structurer son inspiration. C’est quelque chose qui a été très important pour moi. Effectivement, dans une mélodie ou dans une chanson très simple, on peut sentir le travail d’orchestration, la complexité d’un arrangement, ou la technique, mais je voudrais dire qu’il faut sortir du fait qu’il n’y ait qu’une manière sérieuse d’aborder la musique et que toutes les autres seraient secondaires. Je pense justement que l’apport très important de Pierre Schaeffer, qui a été vraiment mon mentor et mon professeur, c’est justement de se dire que la musique est aussi faite de sons et que la même manière traditionnelle que nous avons eu nous pendant des siècles en occident d’aborder la musique n’est pas la seule. La musique écrite telle qu’on l’entend, on peut se demander finalement, par rapport à la totalité de l’histoire de la musique de l’humanité, mondiale, si ce n’est pas seulement une partie de ce qu’on appelle faire de la musique. Et faire de la musique, ce n’est pas seulement de manière écrite, [de] l’aborder de manière classique avec du papier et une partition et un crayon. Quand on prend la totalité de la musique chinoise, [de] la musique indienne, ou [de] la musique africaine, c’est une musique de tradition orale qui est tout aussi complexe que la nôtre. Il faut faire très attention aux idées préconçues et au fait qu’il y aurait en fait une seule musique savante qui serait la nôtre, avec l’arrogance occidentale que nous avons depuis des siècles, et puis d’autres qui seraient secondaires. Et je pense que dans les musiques actuelles, et notamment dans les musiques électroniques, il y a des gens qui abordent la musique d’une autre manière mais qui est aussi complexe et aussi éduquée et aussi sophistiquée et raffinée que d’autres.

Jean-Michel Jarre, c’est le moment des petites madeleines musicales. Voici la première…

(extrait de “La tête contre les murs – Surprise-partie” par Maurice Jarre et son orchestre)

C’est moins connu que Lawrence d’Arabie ou Docteur Jivago, mais cela vous rappelle…

Ca me rappelle effectivement la famille. C’est l’une des plus intéressantes musiques de films que mon père, Maurice Jarre, a composé dans les années 50 et qui donc me rappelle ma prime enfance. C’est une musique qui m’a toujours impressionné même presque effrayé quand j’étais enfant. Il y a une très profonde originalité dans les orchestrations, dans les arrangements, dans les intervalles. Encore une fois c’est ce qu’on appelle le style, c’est à dire que l’on entend 30 secondes de cette musique, [et] quand on connaît un peu la musique de Maurice Jarre, de mon père, on reconnaît immédiatement, déjà, de manière même embryonnaire, tout ce qu’il va faire après. A la fois un élève d’ Honegger et en même temps un explorateur de sons. C’est aussi quelque chose qui est très liée à une certaine époque, où on sent, en même temps, l’influence du jazz, en même temps [l’envie] de vouloir explorer des territoires d’harmoniques et de timbres un petit peu inconnus jusque là.

Vous vous entendiez bien avec votre père ?

M’entendre, je pense que ce n’est pas la bonne question, si je peux me permettre, puisqu’en fait mes parents ont divorcé quand j’avais cinq ans et j’ai grandi totalement en dehors de son sillage aussi bien affectif que musical. C’est plus facile d’avoir un conflit ouvert avec son père parce qu’on a quelqu’un contre lequel se référer et contre lequel s’appuyer , même si c’est de manière rebelle. Il n’y a rien de plus difficile que la béance ou l’absence. C’est évidemment quelque chose qui m’a beaucoup marqué puisque nous ne nous serons vu finalement [que] très très peu dans notre vie. On n’a jamais eu de conflit. A chaque fois qu’on s’est vu ça se passait plutôt bien mais mon père est parti très vite aux Etats Unis et j’ai grandi très loin de son sillage. J’ai été élevé par ma mère. Mon père a peut être eu une influence sur le plan chromosomique mais pas, malheureusement, sur le plan direct. Il est mort il y a six ans maintenant et c’est très drôle parce que lors ce projet “Electronica”, qui a été une sorte de voyage initiatique où je suis allé à la rencontre d’une trentaine de musiciens différents avec qui je tenais à collaborer face à face comme on l’est dans le studio aujourd’hui et pas par fichiers interposés comme ça peut se faire aujourd’hui à travers internet, et [à] passer du temps ensemble, j’ai senti qu’il était en moi et qu’il m’aidait beaucoup paradoxalement. Moi qui est toujours considéré la musique de film et Los Angeles aussi comme le territoire du père, j’ai passé beaucoup de temps avec ce projet à Los Angeles, qui n’a rien avoir avec Hollywood ni avec les palmiers, mais une sorte de bout de terroir familier puisque mon père y a vécu pratiquement toute sa vie. On s’est retrouvé d’une certains manière aujourd’hui où je me suis réconcilié finalement avec lui bien qu’il n’y ait jamais eu de conflit ouvert mais une absence et probablement aussi une gène de son côté.

Et ce manque, cette absence qu’il a eu pour vous, pour le petit garçon que vous étiez, est-ce que ça n’a pas été une chance pour le créateur que vous êtes devenu ? Parce que vous auriez pu être étouffé, écrasé par la personnalité de votre père alors que là vous avez pu développer vos ailes.

Oui c’est tout à fait juste ce que vous dites. Je suis absolument convaincu que chacun de nous a un certain nombre de cartes en mains comme quand on joue aux cartes et que tout dépend comment vous jouez ces cartes puisqu’effectivement il n’y a pas de règles. Vous pouvez être issu d’une famille où les parents s’entendent très bien et l’amour qu’ils se portent l’un à l’autre peut devenir un étouffoir pour les enfants et les handicaper. Vous pouvez avoir des parents divorcés que ça détruit et vous pouvez aussi avoir des parents qui se séparent et dont la séparation va être, sinon une bouffée d’oxygène, en fait un trou d’air dans lequel on peut se glisser pour arriver à réussir son propre destin. Mais réussir son destin professionnellement ça ne veut pas dire nécessairement que ça ne laisse pas des blessures, mais les blessures, d’où que l’on vienne finalement, elles font partie de notre existence et nourrissent le créateur bien entendu.

Jean-Michel Jarre c’est votre deuxième petite madeleine musicale…

(extrait de Goodbye par Chet Baker with Fifty Italian Strings)

Le son de Chet Baker dans un album With Strings…

Oui alors c’est une vraie madeleine de Proust pour moi parce que ça me rappelle évidemment ma prime enfance, comme toutes les madeleines de Proust, et en même temps ma mère. C’était une grande figure de la résistance en France, qui s’est engagée fin 41, qui s’appelait France en plus, donc au nom prédestiné. Elle a fait connaissance dans les camps, puisqu’elle a été prise trois fois par les nazis et la dernière fois malheureusement elle est partie dans les camps mais heureusement elle en a survécu, avec une femme qui a partagé ces moments, qui est devenue une de ses amies et qui, à la fin de la guerre, a ouvert un club de jazz devenu légendaire qui s’appelait le Chat qui Pêche, rue de la Huchette, et qui était le club de jazz moderne de Paris. Ma mère continuait à fréquenter cette amie et venait la voir régulièrement le dimanche et donc le petit garçon que j’étais allait traîner dans ce club de jazz dans la journée et descendait à la cave là [où]il y avait des musiciens. Je n’avais aucune idée de qui ils étaient évidemment mais ces musiciens n’étaient autres que John Coltrane, Archie Shepp, Don Cherry, et Chet Baker. Je me souviens que pour l’anniversaire de mes huit ans, Chet Baker m’a assis sur le piano droit et a jouer pour moi de la trompette à 40 cm de mon petit thorax de huit ans, et qu’à chaque fois que j’entends le son de Chet Baker, et ça m’a fait la même chose en entendant ce morceau, je ressens encore le souffle de l’instrument sur ma poitrine. C’est certainement une de mes premières émotions organiques du son, c’est à dire que le son qui vous transperce littéralement. C’est quelque chose qui a certainement été très important dans ma vie, par rapport à la compréhension que j’ai pu avoir ultérieurement de comment le son se propage, comment il est diffusé, comment il peut vous toucher. Pas seulement vous toucher le coeur mais vous toucher le corps.

Justement c’est intéressant de parler du son, Jean-Michel Jarre, parce que si la construction c’est quelque chose d’intellectuel, le son c’est purement sensoriel. Avez-vous, avez-vous eu toujours un idéal sonore dans votre tête, dans votre coeur, dans votre peau même, dans votre oreille évidemment ? Un idéal sonore que vous recherchez ?

Alors je pense que la musique est une addiction pour tous les compositeurs. En faisant de la musique, on ne cherche finalement ni la gloire, ni quelque forme de célébrité, ni l’argent, ni la reconnaissance. Pour moi, la musique c’est une sorte de mirage vers lequel on essaye toute sa vie de s’en approcher, c’est à dire du morceau idéal, du son idéal, de la structure idéale et c’est ça qui nous fait progresser ou régresser, peu importe, mais qui nous fait avancer. C’est à dire, au fond, en faisant toujours la même musique. Je crois qu’ un artiste va vous dire toute sa vie toujours la même chose. Alors c’est peut être une grande déception pour les médias mais en fait on ne cesse de décliner un univers. Quand vous écoutez Stravinsky, quand vous écoutez Bethoven, quand vous regardez Picasso, ou Copolla ou Kubrick, ou Fellini, ce sont des gens qui, toute leur vie, nous ont dit la même chose sauf qu’ils l’ont déclinée de manière un peu différente et, je pense, avec cette obsession de trouver la formule idéale et [que] tant qu’on ne l’a pas trouvée, on continue, comme Pierre Soulages qui aujourd’hui, à près de 95 ans, continue à faire des oeuvres qui sont de plus en plus belles, parce que si la santé vous porte il n’y a as de limite. Tant que votre corps vous porte, vous continuez inlassablement et, comme je le disais au début, sous une forme d’addiction, vous continuez à essayer de poursuivre ces moulins à vent.

Heureusement, là, il n’y a pas de limite. C’est une bonne addiction.

Oui c’est une bonne addiction, oui c’est une bonne drogue, mais pourquoi je l’associe à une drogue dure, à une addiction ? Le conseil que je donnerais à un jeune artiste si sa priorité dans la vie c’est le bonheur, c’est de ne pas être un artiste ! Parce que je ne pense pas que c’est ça que l’on cherche. On peut avoir des moments de bonheur intense bien entendu, comme tout le monde, mais je me dis [que] j’aurais passé finalement 80% de mon temps, peut être même plus, en studio à faire de la musique quelque fois au détriment de ma vie personnelle. J’aurais peut être voulu faire de la philosophie, de l’astrophysique, de l’architecture, on en parlait tout à l’heure. Finalement on a une vie, un destin, et ces projets vous mange le coeur, le cerveau, d’une certaine manière, donc c’est difficile aussi pour l’entourage de suivre.

Jean-Michel Jarre, est-ce qu’un artiste c’est quelqu’un qui essaye de rendre le monde un peu plus beau c’est à dire que le monde tel qu’il est ne lui suffit pas. Il n’est pas forcément à l’aise comme disait Beaudelaire ces ailes de géant l’empêche d’avancer. C’est à dire qu’il manque d’oxygène dans le monde réel.

Oui c’est vrai. Je pense que l’acte de création c’est une forme de thérapie mais pas seulement de thérapie pour soi même, de thérapie éventuellement pour les autres et de thérapie pour l’environnement, c’est à dire d’essayer de proposer une autre vision du monde, une interprétation du monde. Sa propre interprétation.

Jean-Michel Jarre voici votre troisième petite madeleine musicale.

(extrait d’Alf Leila de Oum Khalthoum)

Oum Khalthoum…

Alors, je ne sais pas si on écoute Oum Kalthoum souvent sur Radio Classique…

Rarement, c’est dommage…

C’est dommage, parce que c’est aussi une de mes [grandes] émotions… Les hasards de la vie ont fait que ma mère m’a emmené, quand je devais avoir 7 ou 8 ans, à un concert d’Oum Kalthoum, le seul qu’elle ait fait d’ailleurs en France, et ça a été une émotion mais énorme pour moi. Elle a chanté pendant 3 heures, je pense deux morceaux, c’est à dire qu’il y avait deux oeuvres. Ce sont des oeuvres qui ont évidemment toute leur place sur Radio Classique. Indépendamment de parler d’Oum Kalthoum comme interprète, les oeuvres sont une véritable musique classique, arabe, qui est extrêmement sophistiquée. J’ai pris, j’allais dire de manière vulgaire, un coup dans la gueule ! C’est quelque chose qui était vraiment extrêmement puissant et une manière très organique, encore une fois, d’aborder la musique. Je ne savais encore à cette époque ce que c’était la technique d’harmonie, la technique d’écriture. Cette orchestration, cette science des intervalles est absolument extraordinaire. Oum Kalthoum a été considérée, et est considérée, comme la plus grande voix du XXème siècle avec La Callas. Il y a même eu des recherches qui ont été faites, comme vous le savez sans doute et on a vu que le spectre extraordinaire de Maria Callas et d’Oum Kalthoum étaient très semblables et que le spectre, l’étendue vocale et les harmoniques de la voix d’Oum Kalthoum étaient même supérieurs. C’est dire l’immense artiste qu’à été Oum Kalthoum qui était, à juste titre, considérée comme une déesse absolue. Vous savez que dans tout le monde arabe, tous les matins, à 7 heures, tous les pays arabes écoutaient un morceau d’Oum Kaltoum pendant des années et donc des centaines de millions de gens l’écoutaient. C’était encore plus important que n’importe quel Beatles. Elle a eu cette position qui, pour moi, est intemporelle et qui est une de mes plus grandes émotions musicales.

Jean-:Michel Jarre est-ce qu’il y a quelque chose de spirituel dans la musique ? Pour Oum Kalthoum, c’est évident, mais au delà du texte, dans la musique même, dans l’essence de la musique, et justement est-ce qu’un artiste musicien tutoie le divin, enfin est en relation avec une dimension que les religions peuvent approcher et que la musique, d’une autre manière, approche également ?

Vous savez, c’est Paul Claude qui disait que la musique c’est l’âme de la géométrie. Je pense que dans la manière dont il le disait c’était évidemment la géométrie spatiale, la géométrie de notre univers. Evidemment que la seule musique qui me touche est une musique spirituelle. Je ne dis pas qu’elle soit nécessairement liée à une religion ou à une autre mais que, d’une certaine manière, la musique qui me touche est une musique qui me transcende. Qu’elle soit populaire ou savante, ça n’a absolument aucune importance. Ce qui nous touche est forcément ce qu’on ne peut pas analyser avec notre cerveau. Donc quelque part, c’est quelque chose qui va au-delà de notre compréhension et donc forcément intervient le spirituel. Je vous dirais que la musique parfaite, la musique qui pourrait se rapprocher de la perfection, c’est d’atteindre un équilibre déraisonnable entre le spirituel et le physique, c’est à dire [entre] ce qui vous touche physiquement et ce qui vous touche de manière spirituelle.

Comme Stravinsky, le Sacre du Printemps ?

Exactement. Si je pense qu’il y avait une oeuvre à garder, cette fameuse question, un peu idiote d’ailleurs, “si vous partiez sur une île déserte qu’est-ce que vous emporteriez ?”

Vous, vous emporteriez un ordinateur plutôt ?

Evidemment parce que du coup je pourrais avoir accès à travers internet à toutes les musiques du monde…

En plus vous pourriez en créer…

En plus, je pourrais créer donc je serais très content. En même temps, il faut amener des batteries et tout ce qui va avec donc c’est peu compliqué mais c’est évidemment ça qu’il faudrait faire… S’il y a une oeuvre musicale que je garderais, ce serait le Sacre du printemps. A tel point même que j’habite en face de l’endroit où il a [été] créé, au Théâtre des Champs Elysées. A chaque fois que je passe devant ce théâtre, j’ai une émotion particulière. C’est une oeuvre qui, pour moi, est absolument complète parce que je ne cesse de la redécouvrir au fur et à mesure que je l’écoute.

(extrait du Sacre du printemps d’Igor Stravinsky)

Extraordinaire musique ! Je ne peux pas m’empêcher en l’écoutant, moi qui me suis toujours très intéressé à la visualisation de la musique, et comment visualiser la musique, [de penser] à cet extraordinaire ballet de Maurice Béjart sur le Sacre du printemps. C’est, je pense, le plus bel exemple de la visualisation d’une oeuvre qui paraît être pourtant très abstraite mais qu’il a réussi de manière absolument géniale à formuler de manière visuelle.

Balanchine aussi a travaillé beaucoup Stravinsky et il a essayé justement de faire ça : de rendre visible l’invisible de toute la musique. Ce sacre du printemps il est fascinant. C’est l’orchestre de Cleveland dirigé par Pierre Boulez. Pierre Boulez, vous n’avez jamais eu de rapport… ?

J’ai un rapport très direct avec Pierre Boulez parce que figurez-vous qu’au début de ma vie, dans les cinq premières années où mon père était encore à la maison, Pierre Boulez et mon père étaient les deux musiciens de la troupe que Jean-Louis Barrault avait à cette époque là. C’est bien avant le Rond Point, c’était dans les années 50. Il avait une troupe itinérante, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, et il avait deux musiciens : mon père, aux percussions, et Pierre Boulez, au piano. Boulez et mon père étaient assez amis et je me souviens que Boulez était venu chez moi, on habitait dans un petit deux pièces, [pour] repeindre la cuisine avec mon père. A cette époque là, je me souviens encore, je devais avoir cinq ans, entendre Boulez dire “en dehors de Bach et moi, le reste c’est de la merde”. (rires)

Effectivement, c’est signé. Ca ne pourrait pas être de quelqu’un d’autre ! Jamais j’imagine que votre musique ne l’intéressait pas, même le jazz ne l’intéressait pas…

Il avait une tendresse particulière pour mon père, à cause de ça, et il aimait pas mal les musiques de films. Il a mis beaucoup d’eau dans son vin. Cette radicalisation extrême et caricaturale dans laquelle il baignait à cette époque là s’est finalement adoucie, surtout quand il est parti aux Etats Unis. Je pense [que] quand il a dirigé l’orchestre symphonique de New York, je pense que, là, il a été en contact avec une autre approche artistique et culturelle plus ancrée dans la diversité, qu’il a beaucoup changé. Il s’est intéressé beaucoup plus aux musiques nouvelles, aux musiques électro acoustiques, etc. Ce qui est très intéressant avec Boulez et les compositeurs de cette époque… On parlait de Stravinsky, tout à l’heure. Stravinsky a fait partie à son époque de l’avant garde. L’avant garde veut dire que 30 ans plus tard, vous êtes devenus classiques. Ce qui est intéressant et assez unique, c’est que dans ce qu’on a appelé l’avant garde de la génération de Boulez, c’est à dire les gens qui sont dans l’avant garde dans les années 50, 60, 70, aujourd’hui ils ne sont pas classiques. Ils sont restés des musiciens, je dirais d’avant garde de cette époque, c’est à dire que quand j’écoute la musique de Boulez, ça me fait beaucoup plus penser aux années 60/70 à Le Corbusier, à Niemeyer, à l’Atomium de Bruxelles, Xenakis, etc. plutôt qu’au XXIème siècle. C’est assez étrange de voir qu’une musique qui était d’avant garde est restée une avant garde retro futuriste.

Alors c’est très intéressant, Jean-Michel Jarre, parce que ça pose une question fondamentale : il y a des choses datées et il y a des choses éternelles. Qu’est-ce qui fait que musicalement une chose va traverser le temps et rester toujours jeune, intemporelle, et qu’une autre chose va être datée, va vieillir. Alors on aura un peu de nostalgie par rapport à cette époque là mais ça sera quelque chose du passé.

Alors je crois avoir quelques éléments de réponse. Je pense que quand une musique ou une oeuvre est absolument déterminée par un dogme, elle, elle va se dater. Quand il n’y a justement pas une dose de laisser faire, une dose de perte de contrôle…

Quand il y a une idéologie derrière…

Oui quand il y a une idéologie derrière qui est trop forte et qui va trop formater votre oeuvre, elle va être datée. [Alors que] quand il y a justement cette espèce de dose d’irrationalité, là elle risque de traverser le temps. C’est toute la différence entre Baudelaire et puis un poète qui aurait travaillé…

Comme Sully Prudhomme par exemple…

Voilà, exactement, très bon exemple. Je pense que Boulez, avec tout le respect que je luis dois, qui est un immense musicien, un immense chef d’orchestre, je pense qu’il a été un beaucoup plus grand chef d’orchestre qu’un grand compositeur à cause du fait qu’il était d’une certaine manière presque coincé dans un dogme, dans une théorie tellement forte, que finalement ça l’a peut être quelque part empêché d’ouvrir ses ailes comme il aurait pu le faire. Je sais que ça peut faire hurler un grand nombre de Bouléziens ce que je suis en train de dire mais c’est ce que je pense fondamentalement, à la différence de Messian par exemple qui lui a justement réussit parce que…

C’était un poète…

Exactement. C’était un poète. Son rapport aux oiseaux, voilà, ça dit tout… Je veux dire que je ne pense pas que Boulez ait intéressé par les hirondelles, jamais de sa vie.

Alors puisque nous avons écouté Stravinsky, c’est Michel Legrand qui raconte souvent que quand il a rencontré Stravinsky, Stravinsky lui a dit “tu sais mon petit, quand on compose, on ne sait pas trop bien ce qu’on fait.” Est-ce que c’est ça le secret. C’est à dire évidemment d’avoir travaillé l’harmonie, le contrepoint, la fugue, et au moment d’écrire d’oublier tout ça…

Je suis absolument d’accord et c’est une excellente continuité de ce que nous étions en train de dire. Je pourrais paraphraser Pierre Soulages qui m’a dit un jour “c’est ce que je fais qui m’apprends où je vais” et je trouve que ça résume parfaitement notre conversation.

Jean-Michel Jarre vous avez choisi le requiem de Ligeti dans votre programme mais auparavant il y a une chose qui va peut être étonner les auditeurs de Radio Classique c’est que vous avez rencontré Stockhausen.

Oui, je suis même allé en stage à Cologne dans son studio de musique électronique. Il faut comprendre que la musique électronique et électro acoustique c’est quelque chose qui n’a rien à voir avec l’Amérique. Ca n’a rien avoir avec le jazz, avec le rock, avec tous les formats pop ou autres. C’est une musique qui est venue de l’héritage de la musique classique et qui vient principalement d’Allemagne et de France, qui vient de Stockhausen d’un côté, de Pierre Schaeffer et de Pierre Henry de l’autre. Avec [aussi] Russolo et les Italiens, évidemment, et aussi le futurisme soviétique avec des gens comme Léon Theremin qui a beaucoup fait pour la lutherie électronique bien sûr.

Et le groupe Kraftwerk alors ?

Après, bien sûr, bien après. Kraftwerk, c’est plutôt ma génération. Il y a donc eu après Stockhausen, Pierre Henry etc. les gens de ma génération : Kraftwerk, Tangerine Dream, d’un côté, moi et quelques autres Français de l’autre, avec deux approches complètement différentes qui d’ailleurs sont spécifiques de la culture allemande et de la culture française, c’est à dire à la fois un côté sans doute plus épique et plus robotique, une approche plus froide de la technologie du côté allemand…

Et la French Touch, le charme, l’élégance du côté français…

Oui et je dirais même le côté impressionniste, c’est à dire le côté mélodique, organique qui nous vient de Ravel, Debussy, et je vois après moi des gens comme Air, des gens d’aujourd’hui comme Rone, un poète absolu de la jeune scène électronique française. Il y a donc cette filiation, cette tradition franco allemande. Stockhausen était assez particulier parce qu’il a, comme tous les grands artistes, touché à tout. Une des oeuvres que j’avais choisie, mais quand il est 18H, 19H, et qu’on a fini sa journée de boulot, on n’est peut être pas complètement prêts à écouter ça, mais [qui est] une oeuvre formidable qui me touche beaucoup c’est “Le Chant des adolescents”. C’est parti de voix d’enfants et d’adolescents manipulées électroniquement. C’est un pont, d’une certaine manière, [entre] une forme de poésie assez organique et le côté assez rigoureux de la rigueur allemande. C’est vrai que j’ai eu la chance de travailler avec un fou parce que Stockhausen était fou au bon sens du terme. C’est ça qui a fait, je pense, que Stockhausen, bien que sa musique soit complexe, traverse le temps de manière beaucoup plus intemporelle. Parce que, justement, il avait cette dimension un peu Dalinienne de se dire “un jour je vais faire une symphonie pour hélicoptères” par exemple ou des chose complètement folles comme ça. Mais ça a forcément conduit sa musique, qui par ailleurs était extrêmement rigoureuse, dans des chemins qui étaient des chemins de traverse où on retrouve une forme de poésie.

Est-ce qu’on est pas toujours un peu au bord de la folie, Jean-Michel Jarre, quand on est musicien spécifiquement; c’est à dire au bord de l’autisme, au bord de la folie en plus avec l’égoïsme nécessaire du créateur; c’est très difficile de vivre avec vous j’imagine ?

Oui je pense que vous avez parfaitement raison, il a une forme d’autisme. On dit que la musique, comme d’ailleurs la création en général, est une forme de thérapie c’est à dire que les artistes, en général, n’ont pas besoins de psychanalystes parce que leur psychanalyse ils se la font eux mêmes. C’est le fait de se dire que de travailler en fa dièse ou un si bémol mineur va vous régler quelques problèmes dans des zones inconnues du cerveau qui justement vont faire que pour un peintre d’utiliser telle couleur aubergine ou caramel va avoir des effets positifs ou négatifs sur l’estomac, les intestins ou le cerveau. Donc effectivement, on a cette forme d’auto thérapie qui d’une certaine manière se rapproche d’une forme d’autisme et qui rend forcément compliquées les relations avec les autres. Même si on essaye d’y faire attention, c’est vrai que ça vous mange votre propre vie et donc celles de votre entourage.

Même si vous alléger et que vous embellissez la vie des autres puisque tous les milliers et les millions de personnes qui se pressent à vos concerts c’est quand même j’imagine qu’ils vous disent merci aussi ?

Oui, bien sûr, on peut dire que c’est une forme de récompense, mais je dirais, avec tout le respect que je dois à tous les gens qui me font l’amitié de me suivre ou suivre mon travail comme c’est le cas pour d’autres artistes, [que] ce n’est pas la raison pour laquelle vous faites de la musique. Moi, je ne fais pas de la musique pour ça. Je fais de la musique parce que je ne peux rien faire d’autre en fait.

Jean-Michel Jarre vous avez choisi Ligeti, immense compositeur. Voici un extrait de son Requiem.

(extrait du Requiem de Gyorgy Ligeti)..

Alors, le Requiem de Ligeti, je ne peux pas m’empêcher quand même d’en dire un mot. Il a évidemment était immortalisé par Stanley Kubrick qui a été un des génies dans le cinéma pour avoir su marier de manière totalement contrastée, ironique, surprenante et inédite la musique de manière générale et l’image. Ligeti, c’est aussi un de mes compositeurs favoris. On parlait de Stravinsky tout à l’heure, mais c’est quelqu’un qui a une approche absolument organique, absolument impressionniste, extrêmement touchante. Je prendrai deux oeuvres de lui qui sont le Requiem d’un côté et Articulation, qui est une oeuvre purement électronique, de l’autre. C’est pour moi le parfait exemple de quelqu’un qui a su absolument inventer des règles, développer des règles, et composer avec des règles extrêmement complexes tout en exprimant son coeur, c’est à dire que c’est un parfait équilibre entre le coeur et la raison, le coeur et le cerveau.

La question tombe d’elle même, à propos de ce requiem, Jean-Michel Jarre, pensez-vous parfois à la mort et est-ce que la musique est peut être l’art qui donne une représentation la plus acceptable de la mort selon vous ?

Je pense que faire de la musique c’est en fait d’une certaine manière retarder l’échéance mais en même temps aussi de s’y acclimater parce que je pense qu’il y a une vraie relation… Il n’y a pas tellement de requiem dans la peinture ou dans la littérature ou dans la sculpture, sous cette forme. C’est vrai qu’il y a un lien entre la mort et la musique. Je veux dire que l’idée de l’au delà… Puisque la musique est par définition la forme de création la plus invisible et la plus abstraite, forcément la mort faisant partie de l’invisible et de l’abstrait pour les humains que nous sommes, il y a forcément un lien qui est, j’allais dire, presque organique, presque naturel, avec la mort.

Et bien merci beaucoup d’être venu ce soir Jean-Michel Jarre.

Merci à vous de m’avoir accueilli.

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