Interview réalisée à Croissy le 9 septembre 1982 pour le fanzine “Synthesis” et l’émission “Univers Electronique” sur Radio Trait d’Union à Aix-en-Provence. Article reproduit avec l’aimable autorisation de François Grapard que nous remercions chaleureusement. Les photos dans le studio de JMJ sont signés Jean-Luc Changeux.
FG: Jean-Michel, tu as obtenu un énorme succès avec “Oxygène“. As-tu suivi une formation musicale ? Parle nous de tes débuts dans ce milieu.
JMJ: J’ai commencé par un plan plus traditionnel. J’ai suivi les classes d’écriture au conservatoire; auparavant, j’avais pris des cours de piano. En plus, comme c’était à l’époque des années ’60, j’ai joué dans des groupes de rock aussi. Et si tu veux ça m’a donné un éventail un peu plus grand au niveau des sons, et de ce que j’aimais. A l’époque, il y avait des ghettos vraiment très profonds, et les gens de la musique classique, disons académique contemporaine, étaient d’un côté, les gens du jazz de l’autre, les gens du rock ailleurs, ceux de la variété aussi, et j’ai très tôt senti que pour moi ces tiroirs ne correspondaient à rien du tout, et que la musique, à cause des techniques qui commençaient à venir comme le magnétophone, comme le disque qui en était à des débuts, allait évoluer très rapidement. Je sentais que notre génération serait celle qui mélangerait les genres ou qui essaierait de les mélanger. D’autre part, j’ai senti aussi que la façon dont on apprenait la musique était vraiment dépassée, c’est-à-dire qu’elle est enseignée comme elle l’était au 19eme siècle. D’un autre côté, dans le milieu du rock, il y avait un certain complexe, qui n’avait pas lieu d’être, vis à vis de la musique classique qui fait qu’à un moment ou un autre, les groupes de rock se disent: “Ce serait pas mal si je faisais quelque chose avec un orchestre symphonique”. Et les choses n’ont pas été pour moi ce qu’elles auraient dû être, et j’ai eu envie de connaitre autre chose. J’ai toujours été intéressé par les trafics de sons, donc à cette époque, ce n’était pas encore la mode des synthés, disons qu’ils ne s’appelaient pas encore des synthétiseurs puisqu’il s’agissait plus de générateurs et d’oscillateurs. Je suis donc rentré au Groupe de Recherches Musicales, chez Pierre Schaeffer, pendant 3 ans où je me suis frotté avec les techniques électro-acoustiques, où j’ai fait de la musique concrète, c’est-à-dire enregistrer des sons naturels sur bandes et faire des montages, des découpages, trafiquer les sons, et l’influence de Pierre Schaeffer a été vraiment capitale dans la mesure où j’ai réalisé qu’il y avait une autre façon d’envisager la musique, qui n’était pas de l’envisager en fonction de notes, d’harmonies et d’accords, mais tout simplement en fonction des sons. Et ça m’a apparu comme étant la seule façon d’aborder la musique d’une façon saine. Et c’est ça qu’il devrait y avoir dans les écoles, c’est-à-dire apprendre à écouter, à découvrir et comprendre ce qu’est un son. Et par rapport à ça, si la musique est considérée comme une affaire de spécialiste, c’est justement parce que l’enseignement est élitiste, abstrait, et qu’il y a des gens qui disent “je voudrais bien faire de la musique mais j’ai jamais appris”, alors qu’on a pas du tout cette attitude vis à vis du cinéma, de la peinture ou de la bande dessinée. Je pense que le synthé est un instrument qui permet d’aborder la musique d’une façon vraiment différente. A la suite du GRM, je me suis aperçu qu’il y avait le revers de la médaille dans la mesure où je me suis trouvé confronté à des gens qui étaient extrêmement intéressants, de milieu complètement différent, aussi bien des sociologues, des philosophes, des mathématiciens mais ceux-ci faisaient des maths appliqués à la musique, de la philosophie appliquée à de la musique, de la sociologie appliquée à de la musique, mais finalement pas tellement de musique. Et comme je me sentais plus musicien que chercheur, je suis parti pour essayer de faire petit à petit mon studio, et surtout essayer de me frotter à des tas de genres de musiques différentes.
FG: Et après en 1976, tu as sorti ton premier album “Oxygène“...
JMJ: C’est le premier disque que les gens connaissent mais ce n’est pas mon premier album. Le premier disque que j’ai fait s’appelait “La Cage” en 1968, et c’était publié par Pathé-Marconi. Je crois qu’ils l’ont vendu à 700 exemplaires, et après ils l’ont détruit, c’est-à-dire que je n’en ai même pas un exemplaire… Et après j’ai travaillé avec un groupe qui s’appelait Triangle, où je faisais les sons électroniques, jusqu’en 1971. Ensuite j’ai fait de la musique pour l’Opéra de Paris, pour un ballet qui s’appelait “AOR“, qui n’est pas sortie en disque mais qui avait été diffusée sur les ondes. Puis j’ai continué à faire cette musique. Il se trouve qu’à cette époque “Oxygène” a marché, d’ailleurs contre toute attente, puisque ça a été refusé pratiquement par toutes maisons de disques, parce que c’était inenvisageable, que ça ne pouvait pas passer sur les radios, qu’il était dommage que je ne chante pas… Et en fait c’est Francis Dreyfus qui a pris le risque de l’éditer et le disque a obtenu le succès que l’on sait. Mais ce qui est intéressant, c’est que d’une image assez underground, je suis passé à une image plus commerciale, simplement parce que mes disques se vendaient. A ce sujet j’ai une anecdote assez marrante à raconter: des critiques de disques m’ont appelé. C’était au début du Monde de la musique, et un journaliste m’a appelé pour me dire qu’il aimait beaucoup “Oxygène”, qu’il voulait faire un papier dessus. Mais Je suis parti aux Etats-Unis et en Angleterre pour la publication du disque là-bas, puis je suis revenu et le disque était numéro 1. Et le journaliste ne s’est plus manifesté; deux mois plus tard il y avait deux pages dans le canard qui descendaient le disque. C’était assez significatif d’une certaine attitude en France. Ça rejoint ce qu’on disait avant de commencer l’interview, c’est-à-dire que les gens ont des clichés dans la tête. A partir du moment où on fait un disque qui marche, ça correspond à un certain type de musique. Toute la musique électronique est considérée comme quelque chose de vraiment marginal, underground, même élitiste, et je trouve que c’est une attitude vraiment dangereuse qui se retourne finalement contre nous, contre le synthé, dans la mesure où les gens ne se rendent pas compte que le synthé est omniprésent dans les spots publicitaires à la télévision, les sirènes de la police new-yorkaise sont faites au Moog, dans 80% de la musique que l’on écoute le synthé intervient. Je souhaite que cette querelle puisse prendre fin le plus vite possible…
FG: Après “Oxygène”, tu as donné un concert sur la Place de la Concorde en 1978…
JMJ: Après ce premier disque, ce qui m’intéressait, c’était de suivre le bébé, aller dans des pays étrangers pour voir comment ce genre de musique pouvait être reçue. Et ce qui m’a donné envie de faire quelque chose comme “Oxygène” et les albums suivants, c’était de briser un peu certaines barrières. Je voulais dépasser le format des trois minutes disponibles sur les 45t, format qui convenait à la radio. Je ne voulais pas être restreint à un genre particulier. Je pense que ça correspondait aux envies de certains auditeurs qui voulaient avoir une notion plus familière avec la musique, et non pas la consommer d’une façon plus passive. Avant le concert à la Concorde, j’ai sorti “Equinoxe“. Et je voulais sortir du studio, je voulais avoir des contacts avec les gens sans que ce soit un concert traditionnel. Les expériences tentées par Klaus Schulze et Tangerine Dream ne me satisfaisaient pas parce que ça ne donne pas vraiment un côté “visuel”, alors si c’est pour écouter le disque, autant rester chez soi… Je voulais trouver les correspondances visuelles face aux techniques des synthés. J’ai donc eu envie de faire ce spectacle unique, catalysant une grande énergie avec différentes techniques, avec des lasers, des feux d’artifices, des projections de diapos, utiliser toutes les techniques visuelles disponibles pour que les gens puissent ressentir quelque chose. Il y a avait environ 1 million de spectateurs, et même si les gens ne pouvaient pas tous voir la même chose, ils voyaient chacun un spectacle différent selon l’endroit où il se trouvaient. Et c’est ce qui m’intéresse, ne pas faire un spectacle traditionnel, mais créer un événement. Ça ne m’intéresse pas de faire des tournées. Je pense que c’est dépassé et que si on veut avoir des contacts avec les gens, il y a la télé, la vidéo, bientôt la télématique avec les ordinateurs, et en tapant le numéro 1212, on aura Beethoven, ou les Stones ou Mike Oldfield, enfin ce que l’on veut. Et je crois qu’il faut essayer de déplacer le problème; J’ai envie de me déplacer pour voir quelque chose de différent et non pas voir le énième concert de rock même si c’est bien fait, c’est comme si on voyait toujours le même film. Pour la Concorde, j’ai justement essayé d’être plus créatif sur le plan audio-visuel, ce qui se prête particulièrement bien à la musique électronique.
FG: Et ce concert a été retransmis en direct à la télévision…
JMJ: Oui, le concert a été retransmis en Eurovision, dans 23 pays. On a eu d’énormes problèmes pour faire passer 380 volts au dessus de la Rue Royale. C’était vraiment apocalyptique… Et en fait j’avais répété la veille, et RTL a annoncé que le concert avait lieu en fait la veille, c’est-à-dire qu’au moment des répétitions il y avait environ 1500 personnes sur la Place de la Concorde. Donc on n’a pas pu répéter avant 5h30 du matin. Et puis il y avait tellement de problèmes d’autorisation et d’ordre purement technique pour sonoriser la Concorde. Il a vraiment fallu tout improviser petit à petit mais ça avait son charme. J’étais assez mécontent de la diffusion qu’a faite la télévision à cette époque-là parce qu’ils se sont servis de choses préenregistrées, ayant peur que ça tombe en panne, et en Eurovision, ils ne voulaient pas prendre de risque; certaines des images qu’on a vues étaient des images qu’ils avaient tournées la veille et qu’ils avaient carrément fondu dedans, et j’étais furieux parce que je ne l’ai pas su. Et les téléspectateurs avaient une idée complètement fausse de ce qu’il se passait réellement sur scène. Mais en dehors de ça, ça a été une expérience formidable, et pour les gens qui étaient présents une expérience unique. Et il y avait un bon contact avec le public, et c’est inoubliable de jouer devant un public qui est 2-3 fois celui de Woodstock. Pour la musique électronique, ça a été une grande victoire, dans l’absolu en tout cas.
FG: Pour quelles raisons fais-tu peu de concerts ?
JMJ: Disons que ça ne m’intéresse pas de faire des spectacles pour rentrer dans le cycle du showbiz. Ce qui m’intéresse par contre c’est de renouer un peu avec la fête populaire gratuite, c’est-à-dire de faire des choses en plein air. Autant le rock est fait pour des lieux fermés, pour l’obscurité, ce sont des lieux où on prend de l’énergie, où on se branche – autant la musique électronique est une musique qui se prête aux grands espaces. J’ai été étonné de voir les Stones lors de leur dernière tournée jouer à l’Hippodrome d’Auteuil, pour moi la musique des Stones ne va absolument pas avec l’espace, c’est une musique qui est dure, pour un lieu fermé. A chaque fois que j’ai fait des choses dehors, j’ai été étonné de la qualité du son, les fréquences des synthés prennent une certaine densité à l’air libre.
FG: Et ensuite tu as sorti ton 3eme album “Les Chants Magnétiques“. Celui-ci a bien marché avec entre autre “La Dernière Rumba”.
JMJ: Oui, il y a plusieurs titres qui ont bien marché, dont le début de la face 2. Je ne donne pas de titres un peu par réaction. On essaie désespérément de donner des titres qui collent avec une musique, souvent la musique s’illustre d’elle-même. Et c’est le cas aussi bien en musique électronique qu’en musique classique ou en jazz. C’est purement gratuit et ça peut paraître prétentieux. Pour en revenir aux “Chants Magnétiques”, le disque est différent, plus terrestre, sur le plan rythmique, sur le plan des sons et aussi dans la façon de travailler, dans la façon d’enregistrer, c’est-à-dire que j’ai essayé de le faire d’une façon plus directe, pour casser les habitudes, les 2 premiers albums étaient plus “éthérés. Et c’est aussi le premier album que j’ai fait chez moi.
FG: Comment t’es venue l’idée des concerts en Chine ?
JMJ: Je me suis toujours intéressé aux musiques extra-européennes, surtout avec le GRM. Beaucoup de gens, de musiciens, sont branchés sur ces musiques, et plus particulièrement la musique africaine, tels que Talking Heads et Brian Eno, et même la musique indienne, à l’époque des années ’60 avec les Beatles. On ne sait pas trop ce qu’est la musique chinoise, on la confond souvent avec la musique japonaise. C’est une musique très riche, sinon la plus riche parce que la plus ancienne. Ça m’a donné envie de retourner aux sources, et en même temps de me confronter à une culture musicale totalement différente, et puis d’essayer d’être inventif. C’est le rêve de tout artiste que de se frotter à un public vierge, différent, neuf, et c’était, disons, un challenge complet. Évidemment pour moi ça aurait été plus confortable de faire une tournée française et de faire le Palais des Sports. Ce qui m’intéresse c’est de faire des choses nouvelles, de me surpasser, et même pourquoi pas de me surprendre. Et ce qui m’a étonné là-bas, c’est que le synthé a fait des adeptes tout de suite; la première fois que je suis allé en Chine, j’ai laissé un synthé, et depuis, le conservatoire de Pékin l’a pris. Ils ont formé un groupe de travail et ont composé dessus. Depuis le Ministère d’Industrie légère en fabrique en série. Je leur ai envoyé des plans de synthés pour qu’ils comprennent leur fonctionnement, et quand j’y suis retourné pour les concerts, ils avaient déjà fabriqué un synthé, qu’ils vont mettre en production. En l’espace de 2 ans, ils sont en train de nous doubler. Au conservatoire de Paris, le synthé n’est toujours pas officiellement enseigné, alors qu’en Chine, il y a des cours de synthétiseurs.
FG: Ça a pris combien de temps pour établir ces contacts pour les concerts ?
JMJ: Ça m’a pris 2 ans. En fait j’y suis allé 3 ans. Et il y a eu un contact direct, sans manager, sans maisons de disques. Ça s’est fait dans un climat amical, artistique. Et c’est peut-être pour ça que des groupes comme le Floyd ou Supertramp ont échoué…
FG: Et tu as fait des échanges de cassettes avec des musiciens chinois…
JMJ: Oui, pour éviter d’avoir une attitude colonialiste, de venir avec un show bien rodé, complètement occidental, et finalement où les chinois auraient eu la vie tout à fait passive, ne comprenant pas trop ce qu’il se passe. Dés le départ, j’ai voulu les intégrer au maximum, aussi bien sur le pan technique que sur le plan musical. Techniquement ils nous assistaient, et musicalement aussi. Il apprenaient les techniques que l’on apportait. Pour moi ça a été un échange intéressant. Et sur le plan musical, je voulais absolument intégrer des musiciens chinois, et notamment un orchestre symphonique traditionnel de 35 musiciens pour lequel a été composé “Jonques de Pêcheurs au Crépuscule”, un titre ayant plus une résonnance chinoise qu’occidentale; et la difficulté a été de faire se correspondre des écritures musicales radicalement différentes. Je leur ai donc laissé des partitions avec des indications , et ils ont réalisé une cassette qu’ils m’ont envoyée. Cette cassette je l’ai arrangée et je leur ai retourné. On a réussi à arranger ce morceau avec un échange de cassettes, jusqu’au moment où on est arrivé à un ensemble harmonieux satisfaisant. Et quand je suis arrivé là-bas les musiciens connaissaient les partitions, on n’a pratiquement pas répété.
FG: Tu as utilisé la harpe-laser lors de tes concerts…
JMJ: Oui, j’en ai un très bon souvenir. C’est un instrument qui a été mis au point par le groupe de Laser-Graphics et plus particulièrement Bernard Szajner. Cet instrument m’a beaucoup intéressé; j’ai toujours eu envie de mêler la lumière et le son, et j’avais déjà travaillé avec Michel Geiss sur ce sujet. J’ai rencontré Bernard Szajner qui avait déjà développé son instrument. Plutôt que d’en concevoir un autre, on a décidé de travailler avec lui, et il a fait un instrument légèrement différent de celui qu’il utilise (les rayons laser atteignent un mètre), et les rayons montaient jusqu’à une vingtaine de mètres, donc c’était vraiment spectaculaire. Au niveau du laser, il faut nommer Claude Lifante qui était sur place et qui s’est occupé de tout. Il a réalisé un travail extraordinaire.
FG: Un morceau tel qu'”Arpégiateur” a servi de générique pour l’émission de télévision “Situations 82”, avant la sortie de l’album…
JMJ: C’est vrai. Quand je suis revenu de Chine, j’ai rencontré des gens de la télévision. Et ils m’ont demandé une musique. Ils ont entendu ce morceau et ont souhaité l’utiliser. Évidemment ce n’est pas tout à fait la même version que dans l’album, le mixage est différent. J’ai déjà réalisé des jingles, dont un pour Pepsi-Cola, et à l’époque ça avait fait hurler les puristes de la musique contemporaine, c’était en 1971 quand j’avais composé la musique pour l’Opéra. Je pense que tout artiste doit être un peu subversif, un peu contradictoire. Il y a des gens qui me considèrent comme un musicien contemporain parce que j’utilise des instruments modernes, d’autres pensent que je suis un musicien de variété parce que je vends des disques et que c’est lié au monde de la variété, d’autres encore vont penser que je fais du jazz, ce qui a été la cas aux USA où j’ai eu 2 albums classés dans le hit-parade du jazz, et je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi. Et puis il y a encore d’autres personnes qui disent que je fais de la musique pour supermarché, parce que ma musique y est diffusée. Ce qui compte, c’est la musique que tu fais, même si elle est utilisée pour la publicité.
FG: Les concerts en Chine seront diffusés à la télévision prochainement..
JMJ: Oui le film sera diffusé sur TF1 le 26 octobre 1982. Bien évidemment je suis content que ce soit diffusé sur la télévision française. C’est plutôt ironique de voir qu’un français aille en Chine pour la première fois et que ce soit une société anglaise qui produise le film, et que ce film ait été diffusé dans plusieurs pays d’Europe avant la France. Enfin, mieux vaut tard que jamais… Ce film n’est pas d’un format classique, dans la mesure où ce n’est ni la retransmission d’un concert, ni un documentaire sur la Chine, mais plutôt l’histoire de la réalisation de ces concerts en Chine, et également les rapports entre deux cultures différentes.
FG: Je crois que tu as d’autres projets sur ces concerts: une version cinéma, un disque vidéo, un livre…
JMJ: En effet ! Ce qui m’intéresse ce n’est pas d’en faire qu’un album, mais d’en faire une expérience multimédia, c’est-à-dire d’essayer différents moyens de toucher le public. C’est pour cela qu’on va faire une version dolby stéréo pour les salles et je souhaite qu’elle puisse être correctement distribuée. Il y aura également la version télévision, un vidéo disque et une vidéo cassette qui seront faits aux USA, et enfin un livre dont le texte sera écrit par Philippe Paringaux de Rock & Folk, avec les photos de Charlotte et de Marc Garanger qui donneront un autre angle de ce qu’il s’est passé. Tout cela devrait sortir vers la fin de l’année…
FG: Quelles sont tes influences ?
JMJ: Mes influences les plus grandes viendraient plutôt du cinéma que de la musique. C’est-à-dire qu’on est de la génération de l’image, du visuel et de l’audiovisuel, et je crois que les musiciens du début du siècle étaient influencés par le roman, la littérature, la peinture. Aujourd’hui les plus grands auteurs sont peut-être Spielberg, Fellini, Kubrick, Visconti. Et ces réalisateurs m’ont vraiment marqué sur le plan émotionnel et m’ont réellement influencé. On est influencé par un ensemble de choses, par exemple l’interview qu’on est en train de faire, le bruit de la pluie sur les carreaux, les gens que vous avez rencontrés dans la journée, le film que vous avez vu, tout ça, amalgamé, donne naissance à une idée musicale. Les influences sont quotidiennes, les gens que je côtoie chaque jour, les disques que j’écoute, le rock, le rockabilly, le jazz, le classique, le synthé. Je suis un genre de muppet, j’écoute absolument tout ce qui se fait dans des genres différents. En fait, on n’est pas vraiment original, je veux dire par là que tout a déjà été fait, qu’un musicien chinois il y a 100 ans a essayé d’exprimer les mêmes émotions que celles que j’essaie d’exprimer aujourd’hui. Il y a des constantes humaines au niveau de la sensibilité et de l’émotion qui font qu’on essaie d’exprimer à peu près les mêmes choses, et la seule chose qui diffère, ce sont les instruments qu’on utilise et aussi le contexte de la société dans laquelle on se trouve. Des gens comme Bach se sont inspirés de Scarlatti, de Vivaldi, Molière du théâtre italien et espagnol, les Beatles de Chuck Berry, de la musique indienne, du jazz, et on n’irait jamais penser que ce sont des copieurs. Le jazz s’est influencé de la musique africaine, le rock du jazz, le rock s’est ensuite intéressé à la musique concrète, à la musique classique, au jazz. Tout est un éternel recommencement. Je crois que ce qui est important c’est d’être inventif au niveau de la forme et du son, au niveau de la façon dont on dit les choses. En cinéma par exemple, la différence entre un film réussi et un film raté provient de la façon dont les deux réalisateurs peuvent dire la même chose: l’un vous ennuie, l’autre vous fascine. Tout est dans le traitement, la façon dont on dit les choses, dont on raconte l’histoire. Dans le domaine de la musique électronique, le synthé est un instrument extrêmement fabuleux, mais dont il faut néanmoins se méfier parce qu’il est complexe et à l’opposé de ce que beaucoup de gens pensent, par exemple que le synthé est synonyme de robotisation des sentiments, de quelque chose de froid, éloigné de la réalité, alors que c’est totalement faux. Il faut cesser de considérer le synthé et le computer comme quelque chose de moderne, ce sont des instruments actuels, qui doivent être considérés comme un instrument familier, comme un instrument de la vie quotidienne. Il faut arrêter de considérer les gens qui font du synthé comme des “goldoraks” de la musique. Le synthé est un instrument qui te permet de construire des sons, d’introduire des bruits, des sons de la nature comme ceux du vent, de la pluie, de la mer, dans tes compositions.
FG: Et quels sont tes projets ?
JMJ: Mis à part le mixage définitif de la version cinéma des concerts en Chine, je suis en train de remixer “Les Chants Magnétiques”, de refaire la gravure d'”Oxygène” et d'”Equinoxe”, pour un coffret qui devrait également sortir vers la fin de l’année. Ce sera réalisé aux Etats-Unis où j’ai trouvé une gravure formidable. Je transforme mon studio pour pouvoir synchroniser le 24 pistes avec un système vidéo. J’ai un projet à plus long terme, un vieux rêve, un spectacle de ballet avec Roland Petit et Anthony Burgess pour 1984 (NB : Jean-Michel Jarre raconte dans son autobiographie pourquoi ce projet n’a pas vu le jour). Enfin j’ai un prochain album en gestation.
FG: J’ai entendu parler d’un autre projet, une fête de la mer à Marseille…
JMJ: Oui, j’aimerais bien organiser un autre spectacle dans le sud de la France, probablement à Marseille. Je me suis rendu compte que la musique avait une autre dimension sur l’eau. C’est en effet un des projets que j’aimerais réaliser dans les deux ans à venir. (NB : Voir aussi la liste des concerts annulés)
François Grapard remercie vivement Jean-Michel, Bernard Dulau ainsi que Charlotte pour son excellent thé…
Article lu 861 fois