Grande interview à Mojo 264/Novembre 2015

(Traduit de l’anglais) Le studio de Jean Michel Jarre se trouve à Bougival, à l’ouest de Paris, près de la Seine, autrefois réputée comme le berceau de l’impressionnisme français. En effet, la scène de cet après-midi aurait pu provenir d’un Renoir ou Monet. A l’extérieur d’une maison délabrée, présumé être le quartier général de Jarre, se trouve une femme âgée, en train de déjeuner dans le jardin. Mâchant lentement, elle regarde silencieusement MOJO frapper à la porte d’entrée du parrain de la musique électronique. Comme nous le découvrons bientôt, le studio de Jarre est en fait en contrebas. Cette porte d’entrée appartient au locataire de longue date de l’immeuble dont nous venons d’interrompre le repas. “Ne vous inquiétez pas,” nous rassure l’assistant de Jarre : “Cela arrive tout le temps.” A l’intérieur du studio, des drones sonores peuvent être entendus dès la porte ouverte. Jarre est à pied d’œuvre. La chambre adjacente ressemble à un musée de gadgets électroniques: un synthétiseur ARP ici, un Mini Moog là, des claviers en veux-tu, en voilà. Ce sont les instruments sur lesquelles Jarre a composé Oxygène (I976), et Les chants magnétiques (1981) et Zoolook (1984). C’est là, aussi, que Jarre a composé ses grands concerts, faits de lasers et de feux d’artifice – en précurseur du DJ superstar d’aujourd’hui – avec record de public sur les Champs-Elysées, les Docklands de Londres ou le désert du Sahara. D’apparence toujours jeune à 67 ans, Jarre est reconnu comme un pionnier de la musique électronique et son ambassadeur culturel. En 2011, il a reçu la Légion d’Honneur. Aujourd’hui, il prépare la sortie de son seizième album, Electronica, I: The Time Machine, qui célèbre quatre décennies de la musique électronique avec des collaborateurs, dont Air, Little Boots, Fuck Buttons, Moby, Pete Townshend et Massive Attack. Au printemps 2016, sortira Electronica 2. Ce projet a pris quatre ans. Jarre a insisté sur le fait que l’enregistrement a été un échange avec les personnes plutôt que l’échange des fichiers par Internet. « Je n’ai plus eu de vie privée, » dit-il. « Je n’ai fait que voyager et travailler. » Electronica est également dédié au fondateur de Tangerine Dream, Edgar Froese décédé en Janvier dernier. Le morceau Zero Gravity est dernier enregistrement de Froese, créé lors d’un sommet rare entre Jarre et les géants de synthé rock allemand. Jarre a été bercé par la musique depuis sa naissance, et conserve une curiosité insatiable à propos de la nouveauté et de l’actualité («Je ne suis pas un fan de la nostalgie, c’était une autre époque). “L’ensemble de ce projet couvre environ 40 ans de musique électronique,” dit-il avec soin. “Parce qu’en Amérique certaines personnes pensent que cela a commencé avec DJ.” Il sourit légèrement. “Et ce n’est pas tout à fait vrai.”


MOJO: Votre père, Maurice Jarre, était un compositeur de renommée mondiale. Quel est l’impact de votre famille a eue sur vos goûts musicaux?
Jean-Michel Jarre: Mes parents se sont séparés quand j’étais très jeune, et mon père a émigré en Amérique. Ma mère [France Pejot] était une grande figure de la Résistance française, et a été dans un camp de concentration avec une femme [Anne Ricard] qui plus tard a ouvert le club le plus influent de jazz moderne à Paris, Le Chat Qui Pêche. Coltrane, Don Cherry, Chet Baker ont joués là-bas. Nous visitions l’ami de ma mère le dimanche après-midi, et tandis que les filles parlaient, je regardais ces gars qui faisait cette musique étrange.

MOJO: Qu’est-ce qui vous a le plus maqué de cette époque?
JMJ: A mon huitième anniversaire, Chet Baker m’a assis sur un piano droit et m’a joué de la trompette, je peux encore sentir l’air sur ma poitrine. Cela m’a fait comprendre combien le son est organique. En tant que musicien, nous faisons juste vibrer de l’air. Mais en faisant vibrer l’air de différentes façons, nous pouvons créer le bonheur, la tristesse, l’ennui, l’excitation sexuelle… Après la séparation de vos parents, vous avez vécu pendant six mois par an avec vos grands-parents.

Votre grand-père, André Jarre, était un autre musicien.
JMJ: Mon grand-père était un hautboïste, mais il était également intéressé par la technologie de la musique. Il a créé un ancêtre de l’iPod – un plateau tournant portable avec batterie et haut-parleur intégré dans le couvercle, et il m’a donné mon premier magnétophone.

Est-ce qu’il y a eu un conflit lorsque vous avez découvert la musique pop?
JMJ: Pas de conflit pour moi, mais cela l’a était pour mon grand-père. J’étudiais la musique classique et le piano, lorsque tous ces groupes britanniques, Les Beatles, les Stones et The Who – sont arrivés. J’étais fan des Who, qui ont ouvert la porte sur ce territoire vierge. Dans la musique classique, les gens étaient presque comme des scientifiques. La musique rock venait de la rue. Je pensais que l’équilibre était meilleur.

Vous avez joué de la guitare dans un groupe appelé « Les Dustbins » qui est apparu dans le film de 1967 « Des Garcons et des filles ». Il semble que vous passiez un bon moment.
JMJ: C’était amusant – et quel nom ridicule. Les poubelles, c’était notre vision du punk avant le punk. Mais c’était leur batteur qui m’a vu expérimenter avec un magnétophone, accélérer et inverser mes solos de guitare, et m’a dit que je devrais aller au Groupe de Recherches Musicales [un collectif électronique de la musique concrète à Paris]. Voilà où je découvris le synthétiseur Moog et rencontrais Pierre Schaeffer, qui a changé le monde de la musique électronique.

Qu’avez-vous appris de Schaeffer?
JMJ: Il a été la première personne à dire: «La musique est tout simplement le son, cela peut être un enregistrement de la pluie, un train, une fermeture de porte…». Il m’a appris que la différence entre le bruit et la musique est dans le geste du musicien. Je me sens privilégié d’avoir été au début de quelque chose – ce mélange de classique, de musique rock et d’électronique, on était à la fin des années 60, il y avait la rébellion dans l’air à Paris et nous avons interprété cette musique comme rebelle avec ces machines folles.

Vous avez passé le début des années 70 à écrire de la musique pour les stars de la pop française. Vous avez également enregistré deux albums, Deserted palace et la bande originale du film d’Alain Delon, Les Granges Brûlées. Était-ce une ébauche pour Oxygene?
JMJ: En ce temps-là, j’avais un studio dans la cuisine de mon appartement [près des Champs-Elysées] et j’expérimentai avec des synthétiseurs et des magnétophones. Mais rien de décisif ne se passait. Je pense que ces deux premiers albums ont été vendus environ à 100 exemplaires… (rire) – ce qui pourrait être considéré comme un chiffre raisonnable de nos jours. Ecrire pour Françoise Hardy ou Patrick Juvet était une façon de gagner ma vie.

Oxygene a été enregistré dans votre cuisine et se vendra à plus de 15 millions d’exemplaires. Mais avant d’être sorti sur le label français Dreyfus Records, plusieurs maisons de disques l’ont refusé…
JMJ: Je me souviens de Charlotte [Rampling, sa première épouse], la mère de mes enfants, me disant: «Je n’ai jamais entendu quelque chose comme ça. Ce sera soit rien soit tout. ” Elle avait raison. Mais tout le monde vous a refusé, y compris le fondateur de Island Records, Chris Blackwell.

Qu’est-ce qu’ils vous a dit?
JMJ: Blackwell a dit: «Qu’est-ce que cela? Pas de batteur, des morceaux de 10 minutes, cela ne va jamais être joué à la radio … et en plus de tout cela, il est français !

À l’époque, avez-vous ressenti une quelconque affinité avec ce que vos contemporains électroniques allemands faisaient?
JMJ: Je pensais que nous avions des visions opposées de la musique électronique. Tangerine Dream et Kraftwerk avaient une approche très robotique, mécanique. J’ai une vision plus impressionniste – une approche à la Ravel ou Debussy. J’étais obsédé par l’idée que deux sons sur Oxygene ne devraient jamais être exactement les mêmes. Je voulais sentir un battement de cœur, quelque chose d’humain. Je voulais aussi que ma musique ait sa propre identité européenne, ni blues, ni racines africaines. Quand j’ai entendu Kraftwerk, j’ai pensé qu’ils étaient un groupe américain chantant en allemand.

Vraiment?
JMJ: Oui, je pensais qu’ils étaient très cool. Mais Autobahn m’a fait penser à un Beach Boys électronique. Je ne savais pas du tout la différence parce que je suis dans ma cave en France et Tangerine Dream et Kraftwerk étaient dans leurs caves en Allemagne et aucun de nous ne savait beaucoup l’un sur l’autre.

Votre troisième album, Les chants magnétiques, a été le premier à utiliser un échantillonneur Fairlight CMI, et a succédé de quelques mois au disque de Brian Eno et David Byrne « My Life In The Bush Of Ghosts », en 1981. La surenchère de l’échantillonnage est-elle passée par là?
JMJ: Je les connaissais, mais je n’étais pas au courant de ce qu’ils se préparaient à cette époque. Mais quand Eno et Robert Fripp disaient qu’ils avaient découvert la technique de la boucle fermée avec Frippertronics [utilisé sur leur album de 1973, No Pussyfooting], en réalité elle avait été créé 20 ans auparavant par Pierre Schaeffer. Peter Gabriel et moi avons eu les deux premiers Fairlights. Pour moi, ça n’a pas été une révolution, ce fut un soulagement. J’étais assis ici pendant des années, en pensant, que je tiendrai une machine qui ferait ce qu’elle fait (pensant au Fairlight).

Après Oxygene et Equinoxe de 1978, vous êtes devenu la première pop star de la musique électronique. Était-ce toujours votre ambition?
JMJ: Je voulais apporter cette musique au plus de personnes possible. Mais je devais penser à la façon de la présenter dans une émission en direct. J’ai toujours été intéressé par l’opéra comme forme d’art à cause de la manière dont il a donné à la musique un aspect plus visuel. Je me souviens d’avoir parlé à Edgar [Froese] à ce sujet. Je lui ai dit : “Edgar, rester derrière votre synthé pendant deux heures sur scène n’a jamais été le plus sexy des choses.” Les guitares et violons sont des objets sensuels. Stradivarius a caché un nouveau violon dans sa chambre pendant un mois. Qui voudrait dormir avec ce matériel (montrant le studio)? J’ai l’habitude de dire aux fabricants de synthés, “Pourquoi faites-vous un design si moche?” Ce qui explique pourquoi j’ai travaillé avec des lasers, des miroirs et des lumières.

Votre concert de la Place de la Concorde à Paris en 1979 a attiré un million de spectateurs et vous a fait entrer dans le livre Guinness des records. Etait-ce un point tournant ?
JMJ: Ça a été le point tournant. Après Equinoxe je voulais mettre en scène quelque chose en extérieur en utilisant des projections géantes. Mais nous avions prévu cela comme un événement underground qui n’aurait guère eu de publicité. Au coucher du soleil, mon manager et moi sommes allés sur scène et avons vu ce qui ressemblait à une mer d’encre noire sur les Champs-Elysées. Nous avons pensé que c’était le reflet du soleil. Nous ne savions pas que c’était réellement des gens. Il m’a fallu un an pour me remettre de ce spectacle.

Pourquoi cela?
JMJ: Parce que c’était tellement surréaliste et fou… Je devais résoudre de nombreux problèmes techniques, mais à la fin du concert un gars avec une longue barbe, comme Fidel Castro, m’a dit, “Man, je n’ai jamais rien vu de tel” Plus tard, quelqu’un m’a dit qu’il était Mick Jagger. Je ne l’avais pas reconnu. A cette époque, les Stones et la plupart des groupes de rock étaient sur scène sans véritables lumières, comme ça (il mime quelqu’un jouer de la guitare). Soudain, je commençais à avoir une influence sur la façon dont ces groupes se sont présentés sur scène.

Vous avez dit que les artistes de rue que vous avez vus comme un enfant ont fait une grande impression sur vous. Est-ce que vos spectacles sont une extension de cela?
JMJ: Ils ont été une influence majeure. Gamin, j’étais fasciné par un cirque qui arrivait dans des roulottes, se mettait en place sur la rue devant l’appartement de mes grands-parents. Il faisait cette merveilleuse performance, et puis ils disparaissent le lendemain matin. Il y avait quelque chose de poétique et de “Fellinien” à ce sujet. J’adore l’idée de détourner un endroit pour une nuit et invitant les gens à partager une expérience.

En Octobre 1981, vous avez poussé l’idée plus loin quand vous êtes devenu le premier musicien occidental à jouer en Chine. Quel objectif espériez-vous atteindre?
JMJ: Le président Mao était mort (en 1976 et la Chine voulait faire croire à l’Occident qu’ils ouvraient la porte, laissaient les gens écouter de la musique autre que les 10 pièces écrites par des compositeurs payés par le gouvernement pour célébrer la gloire de Mao. L’ambassadeur britannique a donné aux autorités chinoises des copies de mes trois premiers albums. Donc, tout à coup les gens écoutaient de la musique d’une autre planète. C’est comme s’ils étaient allés sur la lune. Mais la Chine est source de confusion.

De quelle façon?
JMJ: On n’a jamais été sur de qui nous a effectivement invités là-bas. Peut-être qu’ils avaient peur d’être mis en prison. On nous a dit que seul un petit nombre de personnes pouvait venir, et il y avait aussi une équipe de la BBC qui faisait un documentaire sur le voyage. Parce que la Chine est très respectueuse de la famille, nous avons inventé tous ces «frères» et «cousins» qui ont pu venir avec nous, pour que nous puissions amener toute l’équipe technique. C’était amusant, extraordinaire, et ce fut un choc de culture des deux côtés. Les Chinois ont une façon particulière d’apprécier la musique. Au lieu d’applaudir, ils ramassent leur voisin et le jette en l’air. Je n’avais jamais vu ça auparavant.

Avoir votre musique interprétée sur la navette spatiale devait être la prochaine étape évidente?
JMJ: Mon ami Arthur C. Clarke a toujours dit qu’il était logique pour ma musique d’aller dans l’espace. J’avais accepté d’effectuer un concert à Houston, qui a ensuite été lié au 25e anniversaire du Centre spatial de la NASA. Ronald McNair, un des astronautes de la mission Challenger, jouait du sax, donc j’ai écrit une partition pour lui en utilisant son rythme cardiaque comme rythme. Nous avions prévu de le filmer en train de jouer dans l’espace, ce que nous aurions aimer montrer pendant le concert. Il était en formation à la NASA pendant plusieurs semaines avant le lancement de la navette, et la seule façon dont nous pouvions lui parler était pour moi de faire sonner le téléphone public dans un couloir au centre de la NASA à deux heures de l’après-midi, quand il était par là. Nous avons répété comme ça. Mais alors, Challenger a explosé [quelques secondes après le lancement, le 28 Janvier 1986). Nous étions tous en larmes, hystériques, et je voulais annuler le concert (voir notre dossier sur Jarre et l’espace).

Pourquoi avez-vous changé d’avis?
JMJ: L’astronaute Bruce McCandless m’a appelé et m’a dit que je devrais faire le spectacle comme un hommage à ces gars-là. Donc, nous sommes allés de l’avant et il a eu le record de public pour un concert en Amérique, quelque chose comme 1,3 million. Mais je pense que les gens pensaient que j’étais obsédé de jouer pour de grandes foules, alors que ce n’était pas été mon objectif du tout.

Deux ans plus tard, les Docklands de l’East End de Londres en Septembre 1988 vous ont vu à nouveau jouer à plus devant un million de personnes. Y a-t-il un moment où tout est devenu trop grand ?
JMJ: Oui. Les années 80 ont été une période d’excès où avons pensions que nous pouvions faire tout et n’importe quoi – comme 40 camions sur la route, et voyager avec 300 personnes, dont vous ne connaissez même pas leurs noms. Il y a un côté positif à tout ce succès, mais un côté sombre dans votre vie personnelle, parce que vos relations se transforment.

Quand avez-vous eu cette prise de conscience?
JMJ: Dans les années 90. Le succès attire les requins et même si vous êtes convaincu que ce ne peut pas vous arriver, ça arrive quand même. Vous découvrez que vous avez signé de mauvaises affaires et réalisé de mauvaises opérations. Je devais changer, mais c’était comme essayer de tourner la gouvernail sur un énorme navire, cela prend du temps.

Vous avez fait une déclaration audacieuse en 1983, avec le Musique pour Supermarché: en ne produisant qu’une seule copie, puis en brûlant publiquement les masters. Quel message vouliez-vous envoyer?
JMJ: J’étais triste à l’apparition du CD et de voir en parallèle la musique vendue dans les supermarchés. Donc, j’ai enregistré un album et dont j’ai vendu une copie aux enchères. L’album a été joué une seule fois à la radio où il pouvait être piraté puis le master a été brûlé en public. Les chefs de presque chaque grande maison de disques m’ont insulté, envoyé des messages disant que je détruisais l’industrie. Mais je voulais lui envoyer un signal à propos de ce qui se passait.

Vous n’avez jamais été un fan du CD?
JMJ: Non, nous avons vendu l’idée qu’il était un Saint-Graal de la qualité sonore. Dès le début, je me rendis compte que c’était une imposture et une escroquerie totale.

Vous êtes revenu à du matériel analogique dans les années 1990. Était-ce une réaction à un recours excessif de la technologie numérique?
JMJ: Probablement. Après En attendant Cousteau (1990), je pensais que ce serait bien de monter sur scène et faire l’inverse de ce que nous avions fait avant – et de jouer entièrement en direct. Voilà ce que nous avons fait avec Oxygene 7-13, en 1997. Nous avons joué sans ordinateurs, comme un groupe de jazz ou classique. (Rire) Ca a été un cauchemar. La dance a été un énorme développement de la musique électronique à la fin des années 80.

Avez-vous ressenti une parenté?
JMJ: Je me sentais très proche de lui. J’aime la house et la techno. Certains autres styles, j’aime beaucoup moins. Ce que nous faisions à la fin des années 70 c’était la rave avant la rave : faire partager une expérience commune à des personnes. A un moment, je suis impliqué dans l’organisation de raves ici en France. J’ai adoré le mystère de conduire quelque part dans la campagne en ne sachant pas où vous étiez. Je suis triste qu’avec Internet, ceci ait disparu. Pouvez-vous voir un lien entre vous seul sur scène entourée par des lasers et les DJ superstar d’aujourd’hui devant d’énormes foules? Oui. C’est l’une des raisons pour lesquelle Armin Van Buuren [DJ / producteur de trance Néerlandais] est sur cet album. Il m’a dit dès le premier jour qu’il a été massivement influencé par ma musique et mes spectacles. Je peux le deviner. Ces DJs sont les stars du rock maintenant et ils utilisent les mêmes techniques que moi. Voilà l’ordre naturel des choses. Si quelqu’un a une idée nouvelle, quelqu’un vous le voler, et sur ma prochaine tournée je vais faire la même chose et leur voler (rires).

Vous avez enregistré Electronica en rencontrant physiquement et travaillant avec vos collaborateurs. Étiez-vous conscient de suivre la tendance?
JMJ: Oui. Les musiciens sont assez isolés. Nous pensons que nous ne le sommes pas, parce que nous sommes reliés par Internet, mais nous le sommes. Habituellement avec un projet comme celui-ci, vous envoyez le fichier à quelqu’un d’autre de l’autre bout de la planète, sans jamais le rencontrer. Ici, ça a été l’inverse. J’ai voulu rencontrer tous les collaborateurs pour leur expliquer mon concept.

Avez-vous une idée de la façon dont vous vouliez ces collaborations sonnent?
JMJ: J’avais préparais quelques morceaux de musique que j’aimé, et j’avais en tête ce que je voulais qu’ils fassent pour moi. Je composais la musique avec ces gens à l’esprit. Pour certains morceaux, vous ne savez pas si c’est Tangerine Dream, Moby ou Jean Michel Jarre. La morceau avec Tangerine Dream est une véritable énigme.

Le collaborateur le plus surprenant est Pete Townshend. Qu’est-ce qui vous rapproche de lui?
JMJ: Dès le début Pete était un des premiers auxquels j’avais pensé. Il était l’homme qui a introduit les séquenceurs dans la musique rock avec Baba O’Riley dans les jours 70 quand personne d’autre ne le faisait. Mais Pete était aussi l’inventeur de l’opéra rock, et a toujours eu cette vision désespérée. Il a encore cette attitude, fraîche, rebelle, punk avec un soupçon d’humour britannique. Nous avons passé un après-midi dans sa cuisine à Richmond, et avons enregistré de suite. Nous avons décidé de faire trois parties d’un mini-opéra rock électro. La deuxième partie de Travelator est sur cet album. La prochaine partie sera sur le prochain album d’Electronica et la troisième partie apparaîtra lorsque l’ensemble sortira comme un coffret avant Noël.

Avec plusieurs jeunes musiciens sur Electronica, y compris Air, il est tentant de penser à vous comme un mentor pour la prochaine génération de musiciens électroniques.
JMJ: Je l’ai toujours dit, il y a beaucoup d’Oxygene dans l’air. Nous partageons cette vision impressionniste de la musique électronique. La piste nous avons fait ensemble [Close Your Eyes] revisite tous les équipements des années 1950 à nos jours – un vieux synthé, la boucle de bande magnétique, un Moog Modulator, Fairlight, un plug-in… Le dernier son que vous entendez sur la piste est un iPad.

Et après?
JMJ: Je serai en tournée pour ce projet et espére jouer aux festivals en plein air. Glastonbury et Coachella serait géniaux. Je suis à la recherche de nouveaux thèmes visuels et je me demande, “Comment pouvons nous être percutrants dans des festivals en 2016?”

Pour quelqu’un qui a été perturbé par le CD en 1983, êtes-vous optimiste à l’ère de la musique gratuite?
JMJ: Depuis 2013 je suis président de la CISAC [Confédération Internationale des Société d’auteurs et compositeurs), représentant les droits des auteurs et des compositeurs. Je pense que tout le monde dans l’industrie de la musique doit cesser de pleurnicher et cesser de considérer les géants de l’Internet comme l’ennemi.

Mais pouvez-vous comprendre que les musiciens puissent se sentir menacés ?
Bien sûr. Mais nous sommes les actionnaires de ces sociétés virtuelles géantes. Quand vous voyez Taylor Swift faire changer la politique d’Apple, c’est est la preuve que nous pouvons trouver des solutions – et nous le ferons. Nous devons reconnaître que les artistes sont irremplaçables; ils sont l’un des éléments fondamentaux de notre société.

L’avenir est-il radieux alors?
Nous devons aborder cette question de la même façon que l’écologie il y a 30 ou 40 ans. À l’époque, nous avons dit que nous devrions nous occuper de la planète et de prendre soin de l’environnement, et les politiciens nous ont traités de fou. Maintenant, c’est devenu quelque chose dont tout le monde se préoccupe. Tout le monde finira par se rendre compte de la propriété intellectuelle fait partie de nos droits fondamentaux. Musiciens et créateurs existaient avant l’électricité, et ils existeront encore longtemps après Internet.

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