Interview discographique (partie 3/4) de Jean-Michel Jarre par Elf

Elf-interviewe-Jarre-2018

Troisième partie de l’interview datée de 2018 en 4 parties du blogueur scandinave Elf et dont Aerozone vous propose la traduction.
Lire la 1ère partie et la 2ème partie.

Accès: En attendant Cousteau | Chronologie | Oxygène 7-13 | Métamorphoses | Sessions 2000 | Geometry of love

Jean-Michel Jarre était au début des années 1990 à son apogée commerciale. Ses albums se vendaient par camions entiers, il avait été présent sur MTV et d’autres chaînes de télévision, et il semblait que chaque année, on parlait d’un nouveau méga concert quelque part. Après avoir sorti cinq albums studio (six si vous incluez Musique pour Supermarché), deux compilations et deux albums live, les années 90 allaient entrer dans une décennie plus calme en matière d’enregistrement. Pourtant, Jarre semblait plus occupé que jamais.

En attendant Cousteau (1990)

En attendant Cousteau

En attendant Cousteau (1990) était le premier album de Jarre au cours d’une décennie qu’il espérait être heureuse mais aussi soucieuse de l’environnement. Le disque contient l’un des morceaux de musique les plus ambiants de l’histoire de la musique, sous la forme d’un titre de 47 minutes. C’est l’un de mes morceaux préférés de Jarre. Beaucoup de gens pensaient que cette musique était générée par ordinateur, ce que Jarre réfute.

JMJ : Ce morceau a une histoire très spéciale. Je n’ai jamais été capable d’écouter de la musique en écrivant, en lisant ou en travaillant. J’admire les gens qui savent faire des choses en écoutant de la musique, surtout avec des écouteurs. Je ne peux tout simplement pas.

[NDLR: Jarre dit qu’aller au restaurant est un cauchemar.]

JMJ : Je déteste la musique de fond. J’ai très souvent débranché des haut-parleurs dans des restaurants. Une fois, j’ai même payé un pianiste, qui jouait près de ma table, pour qu’il arrête de jouer. Je lui ai dit que j’avais beaucoup de respect pour ce qu’il avait fait, mais je l’ai payé pour qu’il arrête de jouer jusqu’à ce que mon repas soit terminé. J’ai donc commencé avec cette idée de créer un morceau de musique pouvant être joué pendant que je faisais autre chose. Je l’ai composé comme un hologramme.

Elf : Un hologramme?

JMJ : Oui. Tu sais qu’un hologramme signifie que tu prends un élément d’une image et que tu l’étires. Et je pensais que je ferais ça avec un morceau de musique. La version originale d’En attendant Cousteau dure 75 minutes, mais il n’en reste que 47 sur l’album (22 minutes sur le disque). Et rien dans le morceau ne se répète, pas un seul instant.

Elf : Alors, chaque fois qu’on entend un *plink* au piano, c’est votre doigt qui frappe la touche en fait ?

JMJ : Oui, exactement. Et puis j’ai eu cette astuce pour obtenir ce genre de sons ralentis. Je l’ai fait en l’enregistrant la bande à double vitesse. Ensuite, je l’ai joué à une vitesse normale, en le mélangeant à la musique. J’ai fait ça pour créer ce type d’humeur rêveuse et douce. Et je suis d’accord avec toi, c’est aussi l’un de mes morceaux préférés.

Elf : Je l’ai utilisé pour mes examens. C’est très relaxant et ça me permet de me concentrer.

JMJ : Oui, exactement. Et je l’ai utilisé à chaque concert que j’ai fait depuis que je l’ai réalisé. On le passe avant le concert, quand les gens s’y rendent. Et le premier concert que j’ai fait après la sortie de cet album, c’était à La Défense à Paris en 1990, et 2,5 millions de personnes sont venues [NDLR: Jarre a à nouveau battu son propre record du monde]. La police m’a expliquée que dans une foule d’un million de personnes, tu aurais sept crises cardiaques et sept femmes qui accouchent. Et bien sûr, avec autant de gens, tu aurais aussi de la violence et des bagarres.

[NDLR: Ca n’a pas été le cas le 14 juillet 1990, car Jarre a reçu le lendemain matin un appel du chef de la police.]

JMJ : Et il a dit : « Désolé de vous déranger, mais je voulais juste vous dire que la musique que vous avez jouée avant et après le concert a calmé la foule. Nous devrions l’utiliser pour tous les événements de ce type à l’avenir, car nous n’avons eu aucun problème. Tout le monde est parti calmement. » Et je pense que le morceau a cet effet sur les gens. Depuis ce jour et pour tous mes concerts à venir, ce morceau sera toujours joué avant que je monte sur scène.

Chronologie (1993)

Chronologie

Chronologie (1993) a été salué comme le retour de Jarre aux synthétiseurs et aux sons analogiques. Je lui demande si c’était effectivement le cas.

JMJ : Pas vraiment. Je sais pourquoi le matériel promotionnel disait cela, parce que je l’ai enregistré avec le Studer 24 pistes. Mais les gens de Studer étaient tellement obsédés par la concurrence avec les enregistreurs numériques qu’ils ont ajouté beaucoup de contenu numérique à leur équipement de sorte qu’il n’était plus analogique. Nous avons également utilisé cette console numérique Yamaha lors du mixage, et je ne sais vraiment pas pourquoi. Le son de Chronologie sur bande était vraiment analogique. Mais ensuite, il est devenu… hybride. Cela dit, Chronologie et l’album suivant auraient dû avoir plus de basse. Pendant toute cette période musicale, nous avons perdu la basse. Écoutez Michael Jackson, par exemple, il n’y a absolument aucune basse. Donc, tu as un son très compact. Et si tu compares la façon dont nous écoutons la musique aujourd’hui à celle que nous écoutions il y a vingt ans, ça a énormément changé. Aujourd’hui, nous écoutons beaucoup plus de musique avec basse.

[NDLR: Pour revenir à Chronologie, Jarre indique qu’il a marqué un retour à ce qu’il faisait avec Oxygène et Equinoxe, à savoir avoir un album qui ressemblait à un seul morceau de musique s’écoulant comme un tout.]

Elf : Oui, et il commence et finit avec le même son, donc il fait une boucle complète.

JMJ : Oui, exactement.

Elf : Et Erosmachine le single de 1969 dont vous parliez, apparaît au début de Chronologie Part 2 , n’est-ce pas?

JMJ : Parfois, une démo en musique électronique peut être une boucle. Et cette boucle a été réalisée en 1969 avec du scotch. Alors, quand j’ai fait Chronologie, qui était conçu autour du concept du temps, j’ai pensé pouvoir utiliser cette boucle réalisée avec des bandes magnétiques d’un autre temps, avec ce genre de sens rythmique.

[NDLR: Après la sortie de cet album, Jarre a entamé sa première tournée dans des lieux en plein air, abandonnant ses projets en lien avec les gratte-ciel pour des stades de football. Le décor de la scène rappelait encore les gratte-ciel, et il y avait bien sûr beaucoup de pyrotechnie.]

Oxygène 7-13 (1997)

Oxygène 7-13

[NDLR: La manager de Jarre, Fiona Commins, me dit maintenant qu’il me reste 15 minutes alors qu’il reste encore pas mal d’albums à parcourir. On nous dit donc d’accélérer les choses.]

Elf : Je passe donc immédiatement à Oxygene 7-13 (1997), que certains disent être la suite de l’album original Oxgène. Que pensez vous de cet album maintenant, 21 ans plus tard ?

JMJ : Je préfère Oxygène 3 (2016). Oxygène 7-13 n’était pas assez analogique. Et c’était parce que nous étions à cette période très stupide. C’était une période où on a commencé à découvrir que le numérique ne pouvait tout simplement pas égaler la chaleur des sons analogiques. Et j’ai essayé de faire cette suite avec une approche numérique, comme si j’avais eu des synthés numériques à l’époque de l’original.

[NDLR: Jarre dit que lorsqu’il a créé l’Oxygène original, il pensait déjà qu’il serait intéressant de faire une suite.]

JMJ : J’ai toujours été intéressé par les suites dans la littérature, les films et les séries télévisées, alors que ça n’existe pas vraiment dans la musique. Mike Oldfield l’a fait, avec sa série Tubular Bells, mais à part lui et moi, personne ne l’a fait. Ce qui est bizarre, parce que j’adore cette idée.

Métamorphoses (2000)

Métamorphoses

Après avoir effectué sa première tournée en salles et établi un nouveau record du monde avec son concert à Moscou en 1997, où 3,5 millions de personnes sont venues, Jarre a disparu des radars un certain temps. Puis vint le nouveau millénaire et son album Métamorphoses (2000). Il a été annoncé comme un Jarre dans un style différent.

JMJ : C’était le cas. Et cela prouve aussi mon idée que c’est la technologie qui dicte la créativité. J’ai découvert les logiciels, comme ProTools, qui permettaient d’avoir tout ton studio sur ton ordinateur portable. Tu pouvais enregistrer, produire et mixer comme ça.

[NDLR: Il compare Métamorphoses à Zoolook (1984).]

JMJ : Tout comme pour Zoolook, c’était très différent de ce que j’avais fait auparavant. Et j’ai travaillé avec Joachim Garraud, qui venait de la scène DJ, et il a apporté avec lui ce son industriel que je cherchais pour ce projet. Métamorphoses est également proche de Zoolook car j’ai utilisé beaucoup de voix traitées.

[NDLR: L’album contient également deux de ses morceaux préférés : Millions of stars et Bells.]

JMJ : J’aime beaucoup ces deux-là et je sais que Fiona [il regarde sa manager] aime aussi Millions of stars. C’est son préféré.

[NDLR: Fiona opine et je leur dis que Millions of Stars est aussi mon morceau préféré sur cet album.]

JMJ : Fiona adore aussi la deuxième partie de Chronologie Part 1.

Fiona : Oui, c’est mon préféré.

JMJ : Je l’appelle la partie “Baleines”, avec les voix.

Elf : Oui, c’est ma partie préférée de tout l’album Chronologie !

Fiona : Et voilà ! Bien.

Sessions 2000

Sessions 2000

Elf : Sessions 2000 (2002) est aussi un album très différent de ce que vous aviez fait auparavant. Et pas très aimé par beaucoup. Certains disent que c’était votre “album de sortie de contrat”.

JMJ : C’est vrai. C’est absolument vrai. J’ai eu de réels problèmes avec ma maison de disques, les Disques Dreyfus, et cela a marqué le début d’une période très sombre de ma vie, en fait. Ça a aussi annoncé un procès de dix ans contre Dreyfus. Francis Dreyfus et moi étions amis et nous avons grandi ensemble, mais je voulais suivre un chemin différent de celui qu’il souhaitait. Il disait: « Internet n’est qu’une blague et ça ne va pas durer », et il ne s’intéressait tout simplement pas à la technologie. Au lieu de cela, il est devenu de plus en plus impliqué dans le jazz et son label dédié. Il a sorti les vieux disques de Charlie Parker en mono et j’ai trouvé ça génial. Je l’ai même encouragé à le faire. Mais j’ai senti que nous n’étions tout simplement plus sur la même longueur d’onde.

[NDLR: Cependant, lorsque Jarre a exprimé le souhait de passer à autre chose, Francis Dreyfus a déclaré que Jarre lui devait encore deux albums.]

JMJ : Je lui ai dit que ce n’était pas le cas, car nous avions signé avec Sony dans le monde entier, et ils avaient une option pour deux autres albums. Mais il ne voulait pas écouter et finalement, il n’a plus voulu me parler, et je devais tout faire passer par son avocat. J’étais tellement hors de moi que, le Noël suivant, j’ai posé deux albums sur son bureau et je lui ai dit au revoir. C’était Sessions 2000 et Experimental 2001. Ca l’a rendu tellement furieux qu’il ne voulait pas les sortir. Mais il a dû en sortir au moins un, alors ils ont pris Sessions 2000. Ils ont encore un album entier, qui n’a jamais été publié.

[NDLR: Puisque Drefyus était tellement dans le jazz, Jarre a fait de Sessions 2000 un album électro jazz. Poutant, Dreyfus l’a détesté, mais il n’a eu d’autre choix que de le sortir.]

JMJ : Et finalement il a été nommé meilleur album indépendant du mois au Royaume-Uni, hé hé. Mais il y a des moments que j’aime beaucoup sur cet album.

Geometry of love

Geometry of love

Elf : Peu après ça vous avez enchaîné avec Geometry of Love (2003), un autre album complètement différent de ce que vous faisiez auparavant. Mais je l’aime vraiment.

JMJ : Merci de dire ça. Je l’ai vraiment fait comme un album obscur, parce que c’était simplement un projet pour un club ici à Paris. Et c’était lié à Dublin, car à Dublin, il y avait un café / club appelé le Blue Room, dans lequel U2 était impliqué en tant que partenaire. Ils ont fait la musique pour le Blue Room et j’ai fait la musique pour le club à Paris. Donc, la musique est vraiment censée être de la musique lounge pour ce club.

[NDLR: Entre toutes ces sorties, Jarre donnait de gros concerts en plein air dans des endroits comme l’Acropole, le désert du Maroc, le parc éolien de Gammel Vrå Enge au Danemark et les chantiers navals de Gdansk.]

Vient ensuite ce que beaucoup de fans, et Jarre lui-même, considèrent comme son point faible artistique… A suivre…


Merci à Elf de nous avoir laissé reproduire cet article. Retrouvez son interview d’origine.

Article lu 1157 fois