Le rêve américain de Jean-Michel Jarre

Jean-Michel Jarre l’avait plusieurs fois envisagé mais ça ne c’était jamais concrétisé. Finalement en janvier 2017 il annonce la bonne nouvelle : une tournée aux Etats Unis ! Pourquoi avoir entendu si longtemps, plus de 30 ans après son fameux méga concert à Houston ?

“Chaque fois que j’ai eu l’intention de faire une tournée en Amérique, pour différentes raisons, ce n’était pas le bon moment. A deux ou trois reprises, j’étais sur le point de le faire mais j’ai dû annuler parce que j’étais impliqué dans d’autres choses.” (goldenglobes.com 31/01/2017)

La concrétisation du rêve américain de Jean-Michel Jarre a donc finalement lieu du 16 au 27 mai lors de 7 concerts exceptionnels dans les plus grandes villes des Etats Unis : Boston, Philadelphie, New York, Chicago, Denver, San Francisco et Los Angeles, dans le cadre de sa tournée mondiale “Electronica“.

If faut croire que le succès de ces quelques dates a conforté le compositeur dans son ambitieux projet puisqu’en janvier dernier sept autres dates ont été annoncées avec pour point d’orgue, deux soirs au fameux festival de Coachella en Californie et, pour boucler la boucle… Houston !

Alors, justement, revenons donc un peu sur l’histoire de Jarre en Amérique, au travers de l’évocation de trois villes marquantes dans sa carrière : Los Angeles, New York et Houston.

::Los Angeles – l’espace du père::

Tout commence en fait assez mal entre Jarre et les USA, puisque ce pays est le symbole même de l’absence de son père, Maurice Jarre, qui a quitté femme et enfant au début des années 50 pour poursuivre sa (brillante) carrière de compositeur de musiques de films à Los Angeles où il s’installe en 1964. Ironie du sort, pour la sortie d”Equinoxe” en 1978, une grande affiche sur un panneau du Sunset Boulevard viendra narguer Maurice Jarre jusque sous ses fenêtres…

“Mes parents ont divorcé quand j’avais cinq ans. Mon père s’est installé à Hollywood et je le voyais tous les deux ans.” (Paris Match 1977).
“Il m’est arrivé, pour mon travail, de m’installer à Los Angeles pour quelques mois. J’étais à moins d’un kilomètre du domicile de mon père. Et bien, nous ne sommes pas vus, sauf une fois ou deux dans le bar d’un hôtel des environs, pour échanger des propos insignifiants.” (Libération 30/01/2010)

En effet, au milieu des années 70, Jean-Michel Jarre est devenu le producteur et le parolier de Patrick Juvet pour lequel il nourrit de grandes ambitions. Il a l’audace de convaincre Eddie Barclay d’aller enregistrer deux albums à Los Angeles avec des musiciens de stars ; dans les Wally Heider Studios pour l’album “Mort ou vif” (1976) puis dans les Devonshire Studios pour “Paris by night” (1977). Le soleil et les palmiers de la Californie inspireront à Juvet et Jarre les deux albums que le chanteur considère encore aujourd’hui comme ses meilleurs.

Pour la création, l’enregistrement et le mixage des deux volets du projet “Electronica“, Jarre va aussi passer beaucoup de temps à Los Angeles notamment au studio du Château Marmont et aux Paramount studios où le compositeur invite les médias à venir écouter “Electronica 1” en juillet 2015 et ainsi lancer la promotion de l’album aux Etats Unis. Il revient dans cette ville pour y promouvoir “Electronica 2” en mai 2016 puis “Oxygène 3” en janvier 2017 !

Par ailleurs, c’est à Los Angeles que résident et travaillent plusieurs collaborateurs de ce projet dont M83, Moby, Gary Numan, John Carpenter, Julia Holter, Hans Zimmer, etc. Plusieurs d’entre eux se retrouveront d’ailleurs autour du compositeur en février 2017 pour une interview commune dans le magasin Record Parlour, en prélude à la cérémonie des Grammy Awards lors de laquelle “Electronica 1” est nominé.

“Avant, je n’osais pas passer du temps à Los Angeles. C’était l’espace du père. Etrangement, pour cet album, j’ai passé des mois là-bas. L’essentiel de la création a eu lieu dans cette ville qui, pour la plupart, se caractérise par le bling-bling et les palmiers mais que je vivais comme un terroir familial qui m’était interdit. Sans ésotérisme de pacotille, je crois qu’il m’a accompagné sur ce chemin.” (letemps.ch 16/10/2015)

C’est donc en quelque sorte chez lui que Jean-Michel Jarre donne aussi un concert au Microsoft Theater le 27 mai 2017 et qu’il achève le premier round de sa tournée américaine.

::New York – industrie musicale et scène underground::

En 1973, c’est un label new yorkais, Sam Fox, qui donne à Jean-Michel Jarre la possibilité de sortir son premier album de musique électronique instrumentale : “Deserted palace“. Musique expérimentale et label de musique d’illustration sonore, les conditions n’étaient pas remplies pour faire un succès commercial. Mais le compositeur est tenace et l’Amérique lui ouvrira bien plus grand ses portes en 1977 quand la gloire viendra avec son 3ème opus : “Oxygène“. Campagnes publicitaires et interviews s’y succèderont, notamment à New York.

Si Jean-Michel Jarre est attaché aux techniciens français pour l’enregistrement et le mixage de ses albums, il délocalise très tôt l’étape du mastering aux Etats Unis. Dès 1982, et pour une quinzaine d’années, il confie ainsi ses bandes aux ingénieurs des studios new yorkais Sterling Sound et Masterdisk : Jack Skinner pour les “Concerts en Chine” (1982), “Rendez-vous” (1986), “En concert” (1987), ainsi que pour les rééditions de ces albums du milieu des années 80 ; Ted Jensen pour “En attendant Cousteau” (1990) et “Images” (1991), Greg Calbi pour “Chronologie” (1993) et “Oxygène 7-13” (1997), puis Scott Hull pour les remasters 1997.

En 1984, le compositeur décide de rompre avec son travail de studio solitaire et cherche à se renouveler encore en associant pour la première fois d’autres musiciens pour l’enregistrement de ce qui sera son album “Zoolook“. Après ses deux albums avec Juvet à la fin des années 70, il décide donc de refaire confiance à des Américains mais jette, cette fois, son dévolu sur la côte Est en choisissant l’ingénieur Daniel Lazerus et le Clinton Recording studio de New York. Là, il s’entoure, entre autres, du guitariste Adrian Belew, du bassiste Marcus Miller et de la chanteuse et artiste Laurie Anderson qui lui présentera Andy Warhol.

“En arrivant à New York, j’ai feuilleté le Village Voice, journal underground bien connu. ll y avait un article sur Laurie, qui exposait ses peintures, des sculptures et des vidéos dans une galerie. On a arrangé un rendez-vous au studio où je lui ai fait écouter les maquettes. Elle a été emballée et a accepté de travailler avec moi.”

A cette époque, New York est la capitale américaine de l’art et de la musique et l’industrie du disque y est donc bien implantée. C’est là qu’en 1985, Francis Dreyfus passe la vitesse supérieure de sa maison de disques en créant la filiale new yorkaise Francis Dreyfus Music (USA) Inc. Jarre et Dreyfus mettent beaucoup d’énergie à conquérir les Etats Unis depuis le début de la carrière du compositeur. En 1978, Dreyfus est même déjà allé jusqu’à créer un nouveau label pour ce marché, les Disques Dreyfus, car les Américains confondaient Disques Motors, le label de l’album Oxygène, et Général Motors !

New York est aussi une étape obligée dans l’élaboration de l’album “Electronica“, puisque c’est là que réside Vince Clarke et… Laurie Anderson. Car oui, 30 ans après “Zoolook”, la performeuse collabore encore une fois avec Jarre pour poser sa voix empreinte de mystère sur une composition du maestro. C’est aussi New York que le compositeur choisit pour lancer la promotion américaine de son album : le 10 juillet 2015, jour de l’annonce officielle de la sortie prochaine d'”Electronica”, Jarre en propose une écoute aux médias invités dans le studio Terminus près de Times Square. Il retourne dans cette ville en mai 2016 pour promouvoir “Electronica 2”.

Des projets de concerts à New York sont évoqués depuis la fin des années 70, notamment à Central Park. Jean-Michel Jarre est là fin 2009 pour faire des repérages dans la salle Radio City où il prévoit alors d’y donner un concert dans le cadre de sa tournée . Le projet ne se fera finalement pas, mais la graine est semée… Il faudra tout de même attendre encore 7 ans, pour que le musicien se produise dans cette salle mythique de 6000 places au pied du Rockfeller Center dans le cadre de sa tournée “Electronica” le 15 mai 2017.

::Houston – petro dollars et conquête spatiale::

Dès 1985, Jean-Michel Jarre est approché par les organisateurs du festival de Houston, au Texas, pour y présenter un concert à l’occasion des 150 ans de la ville. Le compositeur, à priori peu attiré par cette ville peu touristique et artistique, surtout connue pour l’exploitation du pétrole de la région, va y rendre une visite à reculons pendant l’été.

“Pendant un an et demi, je ne voulais pas aller au Texas. Je n’aime pas le Texas. J’avais envie éventuellement d’aller à New York, ou à Los Angeles. Houston, ca m’intéressait pas beaucoup. Finalement, j’y suis allé à la demande du directeur de la musique de la ville de Houston, et je suis tombé amoureux du skyline ! J’ai eu envie de faire ce concert en mettant en scène l’architecture de la ville.” (Les premiers pas, France 5, 2007)

Voilà l’idée maîtresse de ce nouveau concept de spectacle qui naît dans l’esprit du compositeur : utiliser un quartier de la ville et son architecture comme fond de décor en y appliquant des techniques visuelles modernes tels que projections d’images géantes sur les immeubles, faisceaux de lumières et pyrotechnie synchronisée. Une équipe de techniciens français est constituée pour mettre en oeuvre cette nouvelle forme d’opéra. Durant ce projet va se construire une expertise artistique nouvelle et originale que Jarre mettra à contribution dans la plupart de ses concerts futurs.

Pour la première fois de son histoire la NASA est associée à un évènement culturel et le concert devient aussi l’occasion de célébrer les 25 ans de cette institution qui a envoyé les premiers hommes sur la lune. Jarre visite ses locaux et y rencontre les astronautes dont John Glen et Bruce Mc Candless. Avec eux, le compositeur réfléchit à une façon de les impliquer dans le concert. Ils ont finalement l’idée que l’un des prochains passagers de la navette Challenger, Ron McNair, joue de son saxophone depuis l’espace. Hélas ! La navette explose lors du décollage trois mois avant la date du concert qui devient alors aussi un hommage à la mémoire de ses occupants disparus.

Le concert a lieu le 5 avril 1986 dans une ambiance tendue tant les risques techniques et financiers sont énormes. La police et les pompiers, qui ont été si difficiles à convaincre, sont pris de panique et tentent de tout arrêter à l’explosion des premiers feux d’artifice lancés depuis les tours. Pourtant, l’émerveillement prend vite le dessus sur toute autre considération. Les médias, enthousiasmés par ce projet qui va célébrer la grandeur de la ville en cette période de crise économique, ont assuré la promotion du “laser and light show” français et attiré une foule immense. Pas moins de 1,3 millions de personnes sont venues assister au concert bloquant l’autoroute proche sur plusieurs kilomètres. C’est encore aujourd’hui le plus grand nombre de spectateurs réunis pour un concert aux USA.

Le 10 avril 2018, Jean-Michel Jarre sera de retour à Houston pour présenter son spectacle de la tournée “Electronica” dans le Smart Financial Center. Nul doute que ce concert prendra une tonalité particulière et que dans la salle certains pourront se vanter d’avoir été témoin trente plus tôt du premier méga concert du compositeur dans leur ville.

::Tournée Electronica aux Etats-Unis::

  • 16 mai 2017 : Blue Hills Bank Pavilion de Boston, MA
  • 18 mai 2017 : Tower Theatre de Upper Darby, Philadelphie, PA
  • 20 mai 2017 : Radio City Music Hall de New York, NY
  • 22 mai 2017 : Auditorium Theatre de Chicago, IL
  • 24 mai 2017 : 1st Bank Center de Broomfield, CO
  • 26 mai 2017 : The Greek Theatre de Berkeley, CA
  • 27 mai 2017 : Microsoft Theatre de Los Angeles, CA
  • 09 avril 2018 : Verizon Theatre at Grand Prairie de Dallas, TX
  • 10 avril 2018 : Smart Financial Center de Houston, TX
  • 13 avril 2018 : Festival Coachella de Indio, CA
  • 14 avril 2018 : San Jose National Civic Center de San Jose, CA
  • 18 avril 2018 : Paramount Theater de Seattle, WA
  • 20 avril 2018 : Festival Coachella de Indio, CA
  • 21 avril 2018 : Spreckels Theater de San Diego, CA

::Vidéo::
Bande annonce de la tournée américaine qui évoque Houston:

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